Les douze liens causaux

(suite)

(conférence 7)

18/05/2006
A. Gouvret

Quelques informations :

Le script de ces conférences ainsi que leur enregistrement audio sont consultables sur internet: http://www.miaofa.com/accueilconferences.html. Ainsi ceux qui auraient manqué une session ou qui nous rejoindraient en cours de route, pourront écouter ou lire la séance de leur choix.

Bibliographie ce thème :

Guy Bugault, L'Inde pense-t-elle ?, PUF, pages 122 et suivantes.

Nichiren, Devenir le Bouddha, Arfuyen, pages 33 et suivantes.

Bref rappel de la dernière session :

12 liens causaux : système dynamique de la production conditionnée.

Obscur --> agissements --> conscience --> noms & formes--> 6 lieux--> contact....

Séquences chronologiques rapides.

Des restes des conditions des actes passés produisent la conscience ; la conscience produit les domaines perceptibles : couleurs, sons, odeurs, goûts, sensations physiques, dharma (objets représentables mentalement). En poussant le raisonnement plus loin (trop loin?), la conscience produit donc le monde... Ces 6 domaines produisent les 6 lieux ou 6 racines : yeux, oreilles etc.

II Définition de chacun des douze liens causaux (suite)

6 Le Contact , shoku, chu, sparsa : Il s'effectue lorsque les éléments de la triple harmonie évoquée ci-dessus se mettent juste à fonctionner ensemble. Ces éléments sont les racines, les lieux et la conscience. L'ensemble de l'expérience de la vie, quelques soient les êtres, procède du fonctionnement de cette triple harmonie qui dégage un lieu (environnement perçu), des racines (moyens sensoriels) et une conscience (aboutissement et discernement de cette perception). Nous ne pouvons pas imaginer ce que serait la vie privée d'un seul de ces éléments. A des stades plus ou moins développés tous les instants des êtres vivants sont la répétition de cette triple harmonie.

Le contact est préalable à la perception et, à ce stade, les trois perceptions (douloureuse, plaisante et indifférente) ne sont pas encore ressenties. Comme le dit Le Principe d'Une pensée trois mille : "C'est l'instant où l'on ne sait pas encore que le feu brûle, que l'eau rafraîchit ni que le sabre tranche."

7 La Perception , ju, shou, vedanha : Il s'agit de la perception ressentie consécutivement au contact et qui peut nous sembler agréable, douloureuse ou indifférente.

On distingue trois et cinq sortes de perceptions.

Les trois perceptions sont : la perception douloureuse, la perception plaisante et la perception indifférente (ni douloureuse, ni plaisante).

Les cinq perceptions sont les perceptions tristes, heureuses, douloureuses, plaisantes et indistinctes.

Nous pouvons rassembler les trois et cinq perceptions dans le tableau suivant :

Trois perceptions

Cinq perceptions

Domaine concerné

Perception triste

Mental

Perception heureuse

Perception douloureuse

Perception douloureuse

Physique

Perception plaisante

Perception plaisante

Perception indifférente

Perception indifférente

L'un ou l'autre

Parmi les cinq perceptions, l'affect relatif aux perceptions physiques doit exister chez tous les animaux. Celui relatif aux perceptions du mental est plus ou moins développé. Parmi les hommes également, un même objet peut entraîner une perception très différente selon les individus, le lieu ou le temps.

Le propre de l'usage de la perception est de créer chez le sujet des goûts, des attitudes et des comportements. Il recherche ce qui procure une sensation agréable, fuit ce qui provoque une sensation douloureuse et manque d'attention envers ce qui lui est indifférent.

8 L'Attachement , ai, ai, trsna : A l'origine le terme désigne la soif, ce qui montre bien le caractère primaire et l'urgence de cet attachement qui pousse à rechercher certains biens ou sensations avec cette même obsession qui fait que l'homme assoiffé demande de l'eau. On distingue trois sortes d'attachements :

- l'attachement aux désirs,

- l'attachement aux formes et

- l'attachement au sans-forme.

Une autre liste de trois attachements est celle que nous avions vue lors de la session sur les quatre vérités. Pour la rappeler :

On distingue trois facteurs d'apparition de la souffrance qui sont appelés les trois attachements (三愛, sanaï, sanai) :

a) L'attachement aux désirs : il s'agit de l'attachement aux objets de satisfaction des cinq sens perceptifs (vue, ouie, goût, odorat et toucher). Une autre explication peut-être plus tardive et moins sûre parle de l'attachement aux cinq désirs (五欲, goyoku, wuyu) qui sont les biens, la sexualité, la nourriture et la boisson, la renommée et le sommeil.

b) L'attachement à l'existence : fondé sur la perception de l'existence d'un ego, cet attachement vise à la perpétuation de cet ego, même si logiquement chacun sait l'impossibilité d'une telle opération. Ainsi de nombreux désirs apparaissent en ce sens. Toutes les vues relatives à des paradis post mortem et éternels, toutes les opinions qui voient dans la descendance la perpétuation de soi même sont liées à cet attachement.

c) L'attachement à l'anéantissement (ou à l'inexistence) : rejet de ce monde imparfait, attrait du vide, de l'anéantissement, d'un repos éternel, de l'autodestruction sous ces différentes formes manifestent des désirs puissants qui viennent s'opposer au deuxième attachement.

Ce désir très puissant de l'attachement peut également s'exprimer sous la forme de son contraire : la répulsion, avec tout autant de force. Le Kosa illustre l'attachement en disant : "Désirer les biens matériels ou les plaisirs des sens, voilà l'attachement."

9 L'Appropriation , shu, qu, upadana : consécutif au puissant sentiment qu'est l'attachement, l'appropriation désigne les actes effectués par le sujet dans le but d'assouvir le désir que crée l'attachement. Il veut s'emparer de ce qui excite sa convoitise et détruire ce qui le contrarie. L'appropriation désigne donc les actes effectués dans cette alternative du prendre-abandonner. Le désir excité par un nouvel objet fait que, ce qui jusqu'à présent satisfaisait ce désir, semble un rebut alors qu'au contraire, pour posséder ce vers quoi se porte la nouvelle impulsion, le sujet est prêt à toutes sortes d'opérations. Ainsi se commettent les actes physiques ou vocaux que le bouddhisme réprouve : le meurtre, le vol, la luxure, la médisance, la duplicité et la flatterie. Il est intéressant de noter que l'exercice de l'appropriation est souvent mis en relation avec le déplacement physique. Ce qui est normal parce que cette nécessité de l'appropriation pousse à rechercher ailleurs d'autres objets pour satisfaire la soif de l'attachement. "On chevauche sans cesse en toutes directions pour conquérir de nouveaux territoires." nous dit le Kosa. Dans notre société où l'appropriation est devenue une valeur consacrée nous assistons à des déplacements quotidiens, mensuels ou annuels de populations tels que les siècles précédents n'en ont jamais connus. Notons également que le fait de vouloir faire mien quelque chose, par réflexion crée du moi, d'où le lien causal suivant.

10 L'Existence , u, you, bhava : Dans son sens le plus large, cette expression désigne l'existence en tant que phénomène. Les douze liens causaux étant tous liés à l'existence, on emploie l'expression les douze chaînons de l'existence On distingue les actes de l'existence et les rétributions de l' existence. Les actes, comme cela a déjà été vu, sont de trois sortes : physiques, oraux et mentaux. Les actes de l'existence comprennent à la fois ces actes mais aussi l'énergie résiduelle qui demeure après la production de ces actes et qui conditionne le sujet. Comme nous l'avons déjà un peu abordé, en étudiant le deuxième des douze liens causaux, les agissements, cette force résiduelle des actes effectués conditionne la façon de penser ou la personnalité et crée les itinéraires mentaux habituels du sujet. Dans le présent, l'exercice de "prendre-abandonner" causé par l'appropriation, une fois effectué, laisse une empreinte résiduelle qui vient se rajouter aux conditionnements générés par les agissements du passé (le deuxième lien causal) et donc détermine le sujet pour le futur. Du coup, du point de vue bouddhique, le futur est "forcé" d'avoir lieu et, en ce sens, dans le traité qui a déjà été cité, Nichiren précise :"On désigne par le terme d'existence les actes, qui dans le futur encore, nous feront échoir la vie" Notons là encore une différence fondamentale entre la conception commune et la doctrine bouddhique, selon les vues généralement admises, l'individu a une personnalité, un caractère, des goûts etc..., alors que dans les enseignements bouddhiques il est constitué par ses propres actes qui l'ont modelé et qui ont créé des habitudes et des comportements que nous désignons comme étant la personnalité. Que ces actes, sans cesse effectués, changent et cette personnalité elle même se trouvera transformée. De là, pour les bouddhistes l'importance d'effectuer des pratiques (concept de voie).

11 La Vie , sho, sheng, jati : Le terme jati désigne la naissance, il s'agit ici de la vie qui est propre aux êtres émotionnels. Comme il vient d'être vu, la somme des causes créées qui n'ont pas encore attiré leur effet conditionne le sujet et lui génère un devenir défini. C'est ce qui l'amènera à naître à nouveau.

12 La Vieillesse et la Mort 老死, roshi, laosi, jaramarana : Dans plusieurs textes ce dernier des douze liens causaux se voit conféré des dénominations supplémentaires telles que la tristesse (soka), l'affliction (parideva), la douleur (dukkha) ou l'adversité (domanassa). Ainsi se révèlent les maux inhérents à la vie, d'une façon plus évidente avec l'âge pour aboutir à la destruction finale.

Ainsi se déroule ce cycle perpétuel, cet "éternel retour" qui, procédant de l'obscur génère au travers des agissements et de l'attachement les pensées et actes erronées propres à l'appropriation et à l'existence qui finalement entraînent la douleur (première des quatre vérités étudiées initialement) face à laquelle le bouddhisme se veut une réponse.

Lors de notre prochaine session le 1° juin, nous verrons comment fonctionne ce système, comment l'analyser et les propositions bouddhiques de délivrance vis à vis de cette chaîne causale.