Les quatre vérités (conférence 3) 02/03/2006 |
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A.
Gouvret
Quelques informations : Le script de ces conférences ainsi que leur enregistrement audio sont consultables sur internet: http://www.miaofa.com/accueilconferences.html. Ainsi ceux qui auront manqué une session ou qui nous rejoindront en cours de route, pourront écouter ou lire la séance de leur choix. Durant le mois de mars nous aurons encore 2 autres sessions, les 16 & 30 mars. J'ai un peu modifié l'ordre de ces conférences afin d'examiner tout d'abors quelques principes bouddhiques fondamentaux pour avoir ensuite davantage d'éléments afin de comparer le bouddhisme à d'autres systèmes qui ont également traité la problématique fondamentale de la pensée indienne antique. Nous allons donc étudier aujourd'hui le système dit des quatre vérités et examiner dans le détail les deux premières d'entre elles. |
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1 Doctrine dite de l'adaptation à autrui | ||
Dans la tradition bouddhique du Grand Véhicule, on estime que les quatre vérités ne représentent pas le contenu de l'éveil du Bouddha mais la forme initiale sous laquelle il a révélé un enseignement original destiné à des non bouddhistes. | ||
Elles ont donc les propriétés suivantes : | ||
a) Elles marquent la frontière entre la voie intérieure (le bouddhisme) et les voies extérieures (autres doctrines ou religions de l'Inde antique), | ||
b) Destinées à un auditoire de bouddhistes débutants et de non bouddhistes, elles mettent davantage l'accent sur la mise en pratique du bouddhisme et la résolution des souffrances. Le concept des quatre vérités permet une mise en pratique immédiate de principes puissants qui porte les adeptes de cette première époque du bouddhisme vers une expérience vécue qui les rend capables d'appréhender le nouvel enseignement. Toutefois on ne doit pas oublier pour autant la profondeur de la philosophie qu'elles expriment, elles ont amené à se démarquer des autres courants de pensées et ont fondé les assises à partir desquelles la spiritualité bouddhique a rayonné. | ||
Selon la tradition, après l'expérience de l'éveil, le Bouddha se serait interrogé sur la possibilité d'en enseigner le contenu. Dans un premier temps il aurait renoncé. Brahma se serait alors manifesté à lui pour le prier de dispenser son enseignement afin de remédier à la misère du monde. Le Bouddha aurait alors imaginé le système des quatre vérités, pareil en cela à un médecin qui après avoir identifié le mal de son patient prescrit un remède. Il se serait alors levé de la place où il demeurait en concentration sous l'arbre de la bodhi et aurait décidé de partir à la recherche des cinq moines qui avaient été ses compagnons d'ascèse. Se dirigeant vers Bénarès où il savait ceux-ci partis, au terme d'une marche de trois cents kilomètres environ il les aurait retrouvés dans un lieu appelé le Parc aux daims. Là il leur aurait enseigné les quatre vérités procédant ainsi à ce que l'on appelle la mise en mouvement de la roue de la loi. |
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a) Extrait du Sutra de la mise en mouvement de la roue de la loi. Le Bouddha se serait exprimé de la sorte devant ce premier auditoire des cinq moines : "O moines, la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, la fréquentation de ceux que l'on déteste est souffrance, la séparation de ceux que l'on aime est souffrance, la non obtention de ce que l'on désire est souffrance et, finalement, tout ce qui touche au corps ou à l'esprit est souffrance. Telle est la noble vérité quant à la souffrance. "Et maintenant, ô moines, menés dans le cycle des renaissances, nous sommes avides de joie. Partout un désir puissant nous fait espérer plaisirs et bonheurs. Il s'agit de l'attachement aux désirs, à l'existence et à l'anéantissement. Telle est la noble vérité de l'origine de l'apparition de la souffrance." Mais, ô moines, que cette soif et ces désirs soient apaisés sans reste, abandonnés, écartés sans attachement, voila la noble vérité de l'extinction de la souffrance." Car, ô moines, la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l'action juste, le moyen d'existence juste, la progression juste, l'attention juste et la concentration juste constituent l'octuple voie qui est la noble vérité de la voie de l'extinction de la souffrance " |
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b) Les trois mises en mouvement : Une fois cet enseignement révélé le Bouddha juge bon de donner 3 précisions : - Ce qui vient d'être révélé est une vérité entière qui doit être reconnue comme théoriquement juste (c'est pourquoi on les appelle "vérités"). - Une possibilité de mise en pratique adéquate et immédiate est possible. - L'expérience qui découle de cette mise en pratique, une fois menée à son point culminant, fait que pratique et théorie se confondent et que l'éveil bouddhique se révèle. Ainsi la voie bouddhique se caractérise par : - Une appréhension intellectuelle juste, - Une pratique juste fondée sur la théorie et - Une fois la pratique parachevée, théorie et pratique apparaissent comme deux constituants inséparables de la voie. Ces trois phases sont appelées les trois mouvements de la roue de la loi. Ces phases sont illustrées dans les expressions suivantes : 1. La révélation du mouvement : phase initiale qui permet d'accéder au degré de la vue de la voie. 2. L'exhortation au mouvement : phase médiane qui permet d'accéder au degré de l'ascèse de la voie. 3. L'attestation du mouvement : phase d'aboutissement qui permet d'accéder au degré où l'on se dégage de l'étude bouddhique (無學, mugaku, wuxue) pour accéder à une expérience spirituelle qui mêle de façon indissociable réflexion et action. Ayant entendu ce sermon les cinq compagnons du Bouddha possédèrent l'oeil de la loi, c'est à dire qu'ils purent imaginer les multiples conséquences du système qui venait de leur être exposé et dont les nombreux développements constituent la doctrine bouddhique. |
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II Définition de chacune des quatre vérités Il convient d'examiner la signification de chacun des termes qui constitue les quatre souffrance et ensuite d'analyser le fonctionnement de ce système. |
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Le terme chinois pour désigner la première des quatre vérités est ku (苦, transcription identique en japonais). Les dictionnaires nous indiquent des significations telles que peine, difficultés, misères, souffrances, malheur. La graphie de l'idéogramme révèle des herbes (radical) sur le caractère "vieux, ancien (古)" qui donne la prononciation ku. Le sens premier était "amer", le goût des herbes anciennes, des herbes amères. Il en ressort donc l'idée de pénibilité plus que de douleur. Le terme sanskrit que les Chinois ont rendu par ku est duhkha ; ce terme est l'antonyme de sukha, le bien-être, la plénitude. Duhkha évoque donc le mal-être, un certain sentiment de manque qui est propre à notre condition. Même dans nos moments de joie ou de plaisir nous pouvons éprouver le sentiment de la fugacité de ces bonheurs ou nous inquiéter de les perdre. Nous verrons que dans la doctrine bouddhique, le fonctionnement même de notre perception, de notre ego est perçu comme un phénomène douloureux ou pénible, nous verrons les causes qui provoque ce sentiment d'"incomplétude" générateur de tourments. Le bouddhisme distingue différentes sortes de souffrance inhérentes à la vie. Le système descriptif le plus répandu est celui des quatre et des huit souffrances (四苦八苦, shiku hakku, siku baku). a) Quatre et huit souffrances : Dans ce système des quatre et des huit souffrances, les quatre premières sont constitutives de l'existence du sujet et les quatre autres de ses conditions de vie ou de son fonctionnement. Les quatre souffrances sont : - la naissance, - le vieillissement, - la maladie et - la mort. Selon la tradition bouddhique apocryphe et probablement largement légendaire, Siddharta aurait rencontré un vieillard, un malade et une procession funèbre. il aurait ressenti alors la précarité et la douleur de la condition humaine. Ces trois rencontres symbolisent les trois souffrances que sont le vieillissement, la maladie et la mort. Ces trois étapes inhérentes à l'existence ne représentent pas seulement la douleur physique éprouvée par le sujet. Vis à vis de ces trois épreuves, une souffrance psychologique liée à l'appréhension se manifeste également. Ces souffrances ne concernent pas seulement le sujet mais aussi les êtres qui lui sont chers. De la sorte, par différentes combinatoires à la fois, nous assistons un phénomène d'accroissement de la souffrance. Les huit souffrances comprennent les quatre souffrances que nous venons de voir auxquelles viennent s'ajouter tout d'abord deux souffrances relatives à l'environnement humain du sujet : - la fréquentation de ceux que l'on déteste et - la séparation d'avec ceux que l'on aime. Ces épreuves qui accompagnent notre vie parmi les hommes apparaissent quand nous devons fréquenter ceux qui nous semblent haïssables ou lorsque ceux à qui nous sommes attachés ou que nous avons aimés, nous sont devenus hors d'atteinte. Ces deux souffrances sont liées aux conceptions de la pensée qui en se fondant sur l'ego crée vis à vis d'autrui des liens puissants. La septième souffrance est la non-obtention de ce que l'on désire. Tant qu'il ne s'est pas affranchi de conceptions primaires, l'esprit produit sans cesse des désirs plus ou moins cohérents et qui ne pourront pas être tous satisfaits. Il en résulte généralement un sentiment de frustration particulièrement pénible. La huitième souffrance est appelée la souffrance de la préhension des cinq éléments [expliquer succintement les cinq éléments constitutifs de l'individu]. Plus qu'une souffrance supplémentaire ajoutée au sept premières elle signifie que le fonctionnement même des cinq éléments qui nous constituent est un phénomène douloureux et que dès lors, le monde lui-même est perçu comme un environnement nuisible.
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b)
Trois souffrances (三苦,
sanku,
sanku) :
Il existe également une autre classification, celle que l'on appelle les trois souffrances. Il s'agit de la souffrance de la douleur, de la souffrance de la détérioration et de la souffrance de la fugacité. |
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Le terme apparition tente de traduire le sanskrit samudaya qui désigne les causes qui permettent que les choses s'assemblent pour se produire. Il indique donc à la fois la cause et le terrain favorable qui lui permet de passer d'un état potentiel à un état actuel. Il s'agit pratiquement d'un révélateur. C'est pourquoi la vue commune à de nombreux ouvrages sur le bouddhisme et qui consiste à identifier l'apparition aux désirs en tant que cause de la souffrance est quelque peu réductrice. Nous étudierons ultérieurement les douze liens causaux et nous verrons que le premier d'entre eux est ce qui est appelé l'Obscur, sorte d'ignorance fondamentale. D'un point de vue plus général, plusieurs penseurs du bouddhisme réfutent l'idée d'une cause première à tout processus et voient plutôt dans ces enchaînements des cycles que l'on ordonne pour les besoins de la démonstration. Les traducteurs chinois ont rendu le terme sanskrit samudaya par le caractère ji (集, shu en japonais). Le sens de ce caractère est se rassembler, réunir. Le caractère à l'origine présentait trois oiseaux (隹) perchés sur un arbre (木), d'où le sens de rassemblement, de réunion. On distingue trois facteurs d'apparition de la souffrance qui sont appelés les trois attachements (三愛, sanaï, sanai) : a) L'attachement aux désirs : il s'agit de l'attachement aux objets de satisfaction des cinq sens perceptifs (vue, ouie, goût, odorat et toucher). Une autre explication peut-être plus tardive et moins sûre parle de l'attachement aux cinq désirs (五欲, goyoku, wuyu) qui sont les biens, la sexualité, la nourriture et la boisson, la renommée et le sommeil. b) L'attachement à l'existence : fondé sur la perception de l'existence d'un ego, cet attachement vise à la perpétuation de cet ego, même si logiquement chacun sait l'impossibilité d'une telle opération. Ainsi de nombreux désirs apparaissent en ce sens. Toutes les vues relatives à des paradis post mortem et éternels, toutes les opinions qui voient dans la descendance la perpétuation de soi même sont liées à cet attachement. c) L'attachement à l'anéantissement (ou à l'inexistence) : rejet de ce monde imparfait, attrait du vide, de l'anéantissement, d'un repos éternel, de l'autodestruction sous ces différentes formes manifestent des désirs puissants qui viennent s'opposer au deuxième attachement. Le bouddhisme ne dégage donc pas un désir qui serait primordial. Il s'intéresse d'ailleurs moins à la nature ou à l'objet du désir qu'à son existence, désir de renommée, sexualité, survie, le désir est avant tout "désirant" et sa manifestation aveugle est le terrain favorable à l'apparition de la souffrance. |