Dans les Écrits du fondateur Nichiren nous trouvons : « Finalement, comme moi-même, mes disciples doivent s’appliquer à la pratique du principe juste. » (Sur les dix-huit accomplissements )2. Et pourtant, durant trente ans, sans tenir compte de cette injonction du maître des enseignements, ne nous sommes-nous pas opposés à l’intention fondamentale du vénéré Shakya et des bouddha en adhérant à des principes pervers, erronés et mensongers ? Et pour tous, bien sûr, ce n’était pas un acte délibéré ou une mauvaise intention, mais en tant que tels, ces principes pervers, erronés et mensongers ne nous ont-ils pas profondément imprégnés ? De fait, c’est parce qu’ils nous ont été inculqués.
Au regard des sources historiques, il semble probable que Hōnen, Kōbō et consorts, maîtres dévoyés fondateurs de courants religieux pleins de mauvaise sagesse et confits d’orgueil, ne s’étaient pas rendu compte et n’avaient pas non plus réalisé que leurs doctrines étaient d’invraisemblables enseignements à la fois pervertis et mauvais mais aussi des supercheries qui convenaient bien aux capacités des êtres de leur époque ; non, ils ont simplement commencé de propager leurs doctrines dévoyées. Dans ce mauvais état d’esprit ils ont fondé [dans notre pays] l’amidisme, les Paroles Véritables et autres. En fait, ils trouvaient leur propre enseignement 'juste’ – c’est-à-dire véridique – mais n’était-ce pas plutôt les œuvres d’une foi aveugle produite par l’obscurité fondamentale ?
Pourtant, à la lumière de l’ensemble des sūtra, on voit clairement que ces maîtres se sont opposés à la véritable intention du vénéré Shakya. Selon Nichiren, l’amidisme est voué à [l’enfer] sans rémission et les Paroles Véritables sont la ruine du pays. Du point de vue du dharma juste, de la doctrine juste, lorsqu’on se fonde sur 'le principe véritable’ [on réalise] à quel point le préjudice qu’ils ont causé a été considérable. « Les bouddha ont fait de l’œil de chair la preuve interne du Sūtra, la signification de l’enseignement réside dans la destruction des égarements3 (Sur les dix-huit accomplissements) … Et cela tient au respect du 'principe véritable du Sūtra’. À présent nous devons sincèrement comprendre la logique [de ce qui précède] et ce avec lucidité. Même si ce n’est pas intentionnellement ou animé d’un esprit mauvais que l’on croit dans ce que l’amidisme ou les Parole Véritables ont inculqué, on ne peut pas pour autant échapper à [l’enfer] sans rémission de l’amidisme ou à la ruine du pays qu’entraînent les Paroles Véritables. Même si l’on invoque la loi merveilleuse, une compréhension faussée due à des principes dévoyés, erronés et mensongers, dès lors qu’on les adopte, qu’on les croit, ou qu’on les pratique c’est "les causes que sont les offenses entraînent leur chute dans le mal4" et "Ils chutent pour mille éons en enfer5". Et bien qu’il s’agisse juste de cultes [religieux], cela peut amener l’effondrement du pays.
Lorsque nous avons adopté la foi [bouddhique], et que nous avons participé à la cérémonie dite 'remise du précepte6’ ; en même temps que battait le gong, il nous était demandé « Abandonnerez-vous les doctrines perverses des maîtres dévoyés, leurs lois mauvaises propres aux enseignements antérieurs et à la doctrine empruntée et, sincèrement, croirez-vous dans la véritable doctrine du vrai maître de la vraie loi du profond des phrases de la doctrine originelle du Sūtra du lotus et ce jusqu’à ce que ce corps devienne le corps du Bouddha ? » Et alors probablement avez-vous répondu de tout votre cœur : « Oui, je le ferai ! » Cette réponse n’était pas destinée au moine qui officiait mais, devant le trésor de la loi7 , elle était adressée au Bouddha originel, le fondateur Nichiren. Depuis, pour chacun d’entre nous, il aurait fallu prendre conscience clairement de ce que sont ces lois mauvaises des enseignements antérieurs et de la doctrine empruntée et les rejeter. Quand bien même nous avons dit « abandonner les lois mauvaises des enseignements antérieurs et de la doctrine empruntée », pour autant les avons-nous vraiment abandonnées ?
Les doctrines erronées des voies extérieures étaient plus anciennes que les enseignements antérieurs et comme telles, elles ne figurent pas explicitement dans les questions-réponses de la cérémonie de remise du précepte ; toutefois il est évident qu’elles sont sous entendues dans l’esprit même des questions rituelles énoncées. Malgré tout, n’est-ce pas parce que nous n’en avions aucune connaissance et que depuis longtemps, cela était tu par des dirigeants importants, que nous en sommes arrivés à croire à ces 'doctrines des voies extérieures’ ? Cette façon de croire ne revient-elle pas à s’opposer non seulement à Nichiren mais aussi à tous les bouddha des trois phases8 , n'est-ce pas 'l’esprit de la foi de grande opposition à la loi’ ? Dire « Mais je ne savais pas … » n’est pas une excuse pour autant. Pour chacun il y a là matière à un examen critique et à l’introspection, faute de quoi, on se retrouve à être conduit par le même mécanisme que celui qui poussait Hōnen, Kōbō et leurs sectateurs.
Même si on ne le savait pas, croire dans les doctrines des voies extérieures revient au 'Rejet du bouddhisme et destruction de Shakya9’ et ce, de la part des adeptes du Bouddha eux-mêmes. Selon La Révélation des offenses à la loi10 « En ce pays du Japon, ni les voies extérieures ni le Petit Véhicule ne sont présents », il y a sept cents ans, dans notre pays, durant la période de Kamakura, les doctrines des voies extérieures (les doctrines découlant des conceptions des six maîtres) n’étaient pas connues. Par exemple Kōbō, le fondateur [au Japon] de l’École des Paroles Véritables, acceptait tout à fait les notions bouddhiques telles que la production conditionnée ou l’absence de nature propre (absence d’essence) dont il fait grand cas dans ses propres écrits. Finalement, dans cette optique Kōbō, apparemment n’était pas égaré par les doctrines des voies extérieures.
Les doctrines des voies extérieures étaient un problème propre à l’Inde antique et il avait été parfaitement résolu durant l’ère de la loi juste par le vénéré Shakya puis, il y a 1800 ans, par Nāgārjuna dans son système de comparaison entre les voies intérieure et extérieures. Des [enseignements] tels que les sūtra des Traditions ou ceux de la Perfection de la prajña ou le Traité du Milieu avaient bien clarifié ce point. Toutefois, par la suite, dans l’École du Caractère des dharma, bien que ce courant soit né en Chine, c’est au Japon que nous voyons réapparaître les doctrines des voies extérieures dans cette École, lesquelles selon Saichō, s’étaient radicalisées jusqu’à prendre la place des enseignements. Ainsi cela a provoqué le débat entre le Provisoire et le Véritable qui vit s’affronter le grand maître Dengyō de l’École Tendaï et le maître de la loi Tokuïtsu du courant du Caractère des dharma. Par la suite, l’essai du grand maître Dengyō De l’Excellence de la Fleur de la loi peut être considéré comme ayant mis fin à cette controverse. Cela se passait avant [l’époque de] la Fin de la loi, durant celle de la Semblance de la loi.
Les Écrits de Nichiren (sa doctrine) se sont constitués à partir de trois des cinq degrés de comparaisons, à savoir les comparaisons : véritable/provisoire, emprunté/originel et semence/délivrance. Parmi elles les deux comparaisons véritable/provisoire et originel/emprunté sont reprises de Zhiyi et seule la comparaison semence/délivrance est due uniquement au fondateur de notre École. Dans les Écrits les comparaisons intérieur/extérieur ou Grand/Petit sont juste évoquées d’un point de vue historique, sans qu’une démonstration effective ne soit apportée. Ce qui revient à dire que le problème avait déjà été parfaitement résolu et ce dès l’époque de la Loi juste ; ce n’était donc plus un problème en l’ère de la Fin de la loi. Ce problème ne concernait plus du tout cette époque.
Mais l’histoire peut présenter des détours inattendus. Quoi donc a provoqué la renaissance des doctrines des voies extérieures des six maîtres à notre époque ? C’est durant l’ère Meiji11 que les doctrines des six maîtres se sont introduites au Japon. Elles étaient portées par une vague d’ouverture civilisationnelle favorable à l’Occident ; elles ont alors emprunté la forme de la philosophie grecque, laquelle présentait une structure tout à fait semblable à la leur. En pénétrant le système éducatif, elles ont fini par s’imposer dans la tête des Japonais.
Même dans nos têtes à nous, croyants de l’École correcte12, ces idées ont fini par s’implanter. Avons-nous été suffisamment vigilants vis-à-vis de cette situation unique et exceptionnelle ? avons-nous été conscients ? avons-nous pris les précautions qui s’imposaient ? C’est bien dommage et c’est avec tristesse que nous ne pouvons que répondre par la négative.
Pour autant, que je sache, à part une ou deux personnes, toutes les autres ont été conduites dans leur foi par [la manière de penser découlant de] la philosophie grecque, c’est-à-dire avec les conceptions des six maîtres sous de nouveaux atours. Finalement, malgré [les concepts] tels que 'justesse de la voie intérieure, fausseté des voies extérieures’ ou 'supériorité de la voie intérieure, infériorité des voies extérieures’, - chose étonnante s’il en est -, ils ont vécu leur foi dans la confusion des voies intérieure et extérieures13. La compréhension de la doctrine elle-même se fait tranquillement selon une compréhension de type 'confusion de la voie intérieure et des voies extérieures’. C’est exactement [la teneur] des essais et des cours qui sont délivrés actuellement. En même temps que l’on invoque « les voies extérieures sont mauvaises car elles n’enseignent pas correctement la causalité », on conçoit la loi de causalité selon les sciences ou la philosophie (appréhension objective) et non pas avec le vécu de la causalité propre à la loi bouddhique et à son ascèse (loi d’Existence). Et dès lors, la contemplation du cœur, voire même le profond des phrases de la loi merveilleuse, tout cela est interprété tout bonnement dans l’optique des six maîtres. Voilà bien 'l’amalgame de la semence et de l’extérieur14’. Et c’est ainsi tout naturellement que la compréhension de la doctrine se fait comme 'une interprétation confondant l’intérieur et l’extérieur’. Il en va de même pour les cours ou les conférences. On évoque « Les voies extérieures ne comprennent pas correctement la causalité, elles sont donc vaines ». Et pourtant, [dans leur esprit,] la causalité en question est celle des sciences ou de la philosophie (loi objective) et non pas celle qui résulte du vécu et de la pratique de la loi bouddhique. Que ce soit la contemplation du cœur ou le profond des phrases selon la loi merveilleuse, tout cela est tranquillement interprété dans la veine des six maîtres. Tel est 'l’amalgame de la semence et de l’extérieur’. C’est bien pire encore que la confusion de l’emprunté et de l’originel15. Il s’agit bien là d’une 'loi merveilleuse qui résulterait de l’amalgame des lois des voies extérieures avec les doctrines du profond des phrases ou de l’ensemencement’. Trouve-t-on dans tous les Écrits [de Nichiren] un seul mot, une demie phrase qui corroborerait un tel amalgame ? Bien sûr que non.
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1 Fascicule publié en 1990, 39 pages, éditeur Enyūkai (縁友会).
2 Traité de Nichiren adressé au moine Sairen et écrit en 1280 (Shōwa Teihon p 2137).
3 Comme cela arrive chez Ishida, les citations sont formulées de mémoire ou sous forme de résumés. La traduction intégrale de ce passage du traité de Nichiren Sur les dix-huit accomplissements est la suivante : « De plus, généralement on reconnaît deux sortes de cinq catégories occultes. La première est les cinq catégories occultes de l’intention du Bouddha et la seconde les cinq catégories occultes des aptitudes et sentiments. Les cinq catégories occultes de l’intention du Bouddha consistent à [employer] la preuve interne des bouddha pour doter le corps des cinq yeux, c’est-à-dire des cinq caractères de myō -hō-ren-gué-kyō. L’œil du Bouddha est myō, l’œil de la loi est hō, l’œil de la sagesse est ren, l’œil du ciel est gué et l’œil de chair est kyō … Le Sūtra a pour signification de briser les égarements. Comme il traite les égarements, on le nomme ’œil de chair’. »
J’ai souligné les termes que l’on retrouve dans la citation donnée par Ishida.
4 Citation tirée des Notes sur les Mots et phrases de la Fleur de la loi de Zhanlan. Toutefois la citation complète dit : les causes que sont les offenses entraînent leur chute dans le mal, mais sans doute, cette cause sera source de bienfaits. Il s’agit d’un commentaire du chapitre du Bodhisattva Toujours-Sans-Mépris.
5 Cette citation également semble paraphraser un passage du chapitre du Bodhisattva Toujours-Sans-Mépris.
6 Gojukai en japonais.
7 Exactement il dit Gohōzen (御宝前) terme qui désigne dans un temple, l’objet de culte principal.
8 passé, présent, futur.
9 Haibutsu kishaku (廢佛毀釋) : rejet du bouddhisme, destruction de Shakya’ slogan employé lors des phases de persécutions de la structure religieuse du bouddhisme en Chine et repris au Japon lors des persécutions de tendances nationalistes de l’ère Meiji (1868-1912).
10 Ken hōbōsho : Traité de Nichiren écrit en 1262 lors de son exil sur l’île d’Izu.
11 1868-1912.
12 Shōshū (正宗) on peut penser qu’il désigne ainsi Nichiren Shōshū, à moins qu’il ne fasse référence au sens littéral de cette expression, comme je l’ai traduit. Les deux interprétations ne s'excluent pas.
13 Cette analyse est particulièrement fine et intéressante. La comparaison voie intérieure/voies extérieures est le premier élément du système des cinq degrés de comparaisons. Si ce premier élément devient caduc c’est tout le reste qui s’effondre.
14 En japonais shuge itchi (種外一致). Ici Ishida crée une sorte de concept formé du premier terme du 5e degré de comparaisons (semence) et du second terme du premier degré de comparaison (extérieur). On mêle donc le meilleur et le pire, d’où le choix d’amalgame plutôt que coïncidence pour rendre itchi (一致). Voir cinq degrés de comparaisons.
15 C’est-à-dire la confusion entre les deux termes du quatrième degré de comparaisons : Comparaison originel/emprunté, (voir cinq degrés de comparaisons).
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