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Ce traité a été écrit en 1273. Exilé depuis plus d’un an sur l’île de Sado, Nichiren et les quelques disciples qui l’accompagnaient avaient dû surmonter des conditions particulièrement rudes liées à la relégation en ce lieu, et notamment l’insuffisance dramatique de nourriture et la rigueur de l’hiver. Heureusement Nichiren avaient vu ses conditions d’exil quelque peu améliorées depuis son transfert au lieu-dit Ichinosawa.
Ce traité écrit en chinois classique ne mentionne pas de destinataire, il traite d’un certain nombre de points fondamentaux de l'enseignement de Nichiren et l’on peut supposer qu’il est destiné à préciser la doctrine sur les notions essentielles que sont la validité des prédictions des sutras et la vision de Nichiren quant au devenir de la loi bouddhique.
Nous pouvons distinguer trois parties dans la composition du traité :
1. Un préambule dans lequel Nichiren donne des indications selon lesquelles c’est dans la période actuelle que peut être mise en pratique la prédication de la propagation de la loi bouddhique telle que le Bouddha l’avait enseignée.
2. Le dialogue avec un interlocuteur fictif qui, après des questions et critiques successives, va se ranger aux arguments de Nichiren. Au fil de cette controverse, les objections abordent différents angles permettant à l’exposé de la doctrine de se préciser et enfin après que le débatteur ait reconnu le rôle fondamental de Nichiren quant aux prophéties du Bouddha, il lui demande quelles sont ses propres prédictions et celui-ci peut alors préciser sa vision de la propagation de la loi bouddhique. Ce débat est mené dans une certaine dramaturgie qui va crescendo jusqu’à ce que le contradicteur finisse par comprendre et accepter le discours qui lui est adressé.
3. Enfin la conclusion de Nichiren : c’est lui qui réalise les prédictions du Bouddha validant de la sorte l’enseignement antérieur, c’est lui qui accomplit les trois vertus de souverain, de maître et de parents et qui est l’aboutissement des maîtres précédents de la loi bouddhique : « Probablement Nichiren de la province de An est-il le successeur de ces trois maîtres et, pour la cause de l’École du Lotus, il en effectue la propagation en la Fin de la loi. Ajoutant un à trois, nous avons donc trois pays et quatre maîtres. »
1. Le pratiquant du Lotus en la Fin de la loi
Ce texte se désigne lui-même clairement comme un traité, il est écrit en chinois classique, il indique en liminaire « Conçu par le sramana Nichiren », formule que nous retrouverons presque à l’identique à la fin du texte, et donc qui révèle pleinement l’auteur, ce qui est significatif car ce texte traite clairement de la personne même de Nichiren et de la conscience qui est la sienne de son rôle dans l’histoire du Bouddhisme.
Au début nous avons une citation du Sutra du lotus, de son XXIIIe chapitre, citation où apparaît le terme vaste propagation (propage-le largement, kosen rufu, guangxuan liubu). C’est donc dans ce que le Sutra appelle les cinq-cents dernières années, que doit être initiée cette vaste propagation. Or il s’agit de la mauvaise période dite de la Fin de la loi, époque où les capacités des hommes sont dégradées et où la loi bouddhique initiale, celle du bouddha Shakyamuni, a perdu toute son efficace. Nichiren se référant à sa propre personne dit qu’il n’y a pas à s’affliger de ne pas avoir vécu à l’époque du Bouddha ou des grands maîtres mais que, au contraire, on peut se réjouir de participer à cette Vaste propagation.
Deux citations issues de la tradition Tiantai viennent préciser la citation du Lotus à propos de la Vaste propagation et du temps où celle-ci doit se produire.
2. Le débat rhétorique et la constitution de la doctrine
Les questions et les doutes de l’interlocuteur imaginaire donnent l’occasion a Nichiren de préciser sa doctrine qui devait sembler bien incroyable à ses contemporains. Je qualifiais cet interlocuteur d’imaginaire. Il ne l’est pas tant que ça, avec une certaine habileté et en usant d’une logique assez subtile il énonce tous les doutes que la vision de Nichiren des prophéties du Bouddha pouvaient susciter chez des contemporains religieux et cultivés. A commencer par le rôle essentiel que Nichiren s’attribue dans la réalisation des prédictions. Notons la subtilité avec laquelle le contradicteur amène successivement ses arguments voire ses doutes. Il connaît bien les écritures et peut également faire preuve d’une certaine ironie et ainsi le débat est animé d’une dramaturgie portée par la montée de l’exaspération du contradicteur qui doit à la fois tenter de comprendre les arguments de Nichiren et est dans le même temps outré de ce qu’il perçoit comme une exagération orgueilleuse de l’idée que Nichiren se fait de lui-même. On passe ainsi de « on demande » à « Plein de doutes on demande » puis à « Avec suspicion on dit ». Enfin la tension s’atténue un peu, on revient à « Plein de doutes on demande » et pour finir à une attitude plus habituelle pour celui qui rencontre un maître de l’enseignement avec un simple «On demande ».
Cet énoncé sous la forme d’un débat questions / réponses est un procédé courant dans la littérature bouddhique. C’est une méthode qui s’avère très convaincante et qui permet de répondre à l’avance aux objections qui pourraient être soulevées et parfois, comme ici, il donne une certaine vie à des raisonnements qui sans cela relèveraient d’une argumentation scolastique.
Examinons donc les objections que cet habile contradicteur adresse à Nichiren avec une certaine finesse rhétorique et surtout un sens de la logique très rare dans les débats doctrinaux de l’époque.
A la joie qu’exprime Nichiren de vivre au début de la période de la Fin de la loi, l’interlocuteur lui fait remarquer que c’est le cas de tous leurs contemporains et demande la raison de cette allégresse. La réponse de Nichiren, très documentée en citations scripturaires, excède par sa portée le champ de la demande initiale. Il explicite les caractéristiques de cette période de cinq-cents ans : la haine dont feront preuve les opposants à la loi juste, leurs menées, la confusion dans l’interprétation des enseignements qui les porteront à préférer des enseignements partiels et enfin le ressentiment violent qui les animera en présence du pratiquant du Lotus : « et lorsqu’ils voient ou entendent le pratiquant de l’enseignement parfait et véridique ils sont alors portés à lui nuire. »
Dubitatif le questionneur souhaite que Nichiren précise son propos : pourquoi privilégier la période actuelle alors que, selon la doctrine bouddhique, dans les époques précédentes les capacités humaines étaient bien meilleures ? La question est d’autant plus intéressante que dans les civilisations de l’Asie marquées par le confucianisme, on prend volontiers pour référence les grands hommes du passé et leur œuvre.
Nichiren rejette cette conception, pour lui les enseignements antérieurs ont perdu toute efficacité et même dans le cas du Grand-Véhicule l’enseignement scripturaire demeure mais il n’y a plus ni de pratique adéquate ni ce qu’il appelle l’attestation, c’est-à-dire la preuve de la pratique correcte dans l’expérience et la vie du croyant c’est-à-dire l’éveil. L’époque est mauvaise mais c’est dans cette période que le vrai pratiquant du Lotus pourra propager « le honzon de l’enseignement originel et les cinq caractères de Myōhōrenguékyō. » Ainsi Nichiren fait comprendre qu’il est ce véritable pratiquant du Lotus, au même titre qu’en son temps le bodhisattva Sans-Mépris.
L’interlocuteur est stupéfait et demande à Nichiren quoi donc lui permet de tenir de telles assertions, pourquoi prétend-il être « le pratiquant du Sutra du Lotus en ce début de la Fin de la loi ? »
Cette question concerne la personne même de Nichiren. Sa réponse cite le Sutra du lotus avec successivement des extraits des chapitres X, XIII, XIV, XX et XXIII. Les difficultés et persécutions qui frappent le pratiquant du Lotus y sont décrites ainsi que la nécessité lorsque l’époque sera propice de répandre le Sutra du lotus afin que les puissances maléfiques ne puissent le dévoyer. Ainsi à part Nichiren, personne ne correspond à ces prophéties contenues dans le Sutra du lotus, et donc c’est Nichiren qui les valide sans cela « les paroles du Bouddha ne seraient que vains mensonges. »
C’en est trop pour l’interlocuteur qui se demande si finalement Nichiren ne serait pas un moine plein d’orgueil pire encore que les parangons de ce genre de l’histoire du Bouddhisme. Notons, d’un coup, la vivacité de l’échange et le caractère plus dramatique du dialogue. Nichiren tance son interlocuteur, il reconnaît que ses parole peuvent sembler dictées par l’orgueil mais elles seules permettent de corroborer les écritures et ainsi de sauver les prédictions du Bouddha.
Le contradicteur se calme un peu et use d’un argument assez subtil et logique. La personne de Nichiren a beau correspondre aux prédictions mais qu’est-ce qui prouve que d’autres dans tous les vastes pays de l’Asie n’y correspondraient pas ? Ce procédé qui semble imparable donne l’occasion à Nichiren d’exposer une partie très intéressante de sa doctrine. Après avoir rappelé qu’il ne saurait régner deux souverains en même temps, il révèle la façon dont la loi bouddhique s’est propagée. Durant les deux ères de la Justesse et de la Semblance, partant de l’Inde elle a voyagé vers l’est, vers la Chine, vers les autres pays d’Asie et le Japon. Et à présent durant la période de la Fin de la loi elle repart vers l’ouest … Dans les pays où elle a été prospère elle a dégénéré, il n’y a donc plus que la nouvelle interprétation de Nichiren au Japon qui soit efficiente.
Le contradicteur reconnaît que la loi bouddhique n’est plus vivace en Inde ni en Chine. Mais il use du même procédé que lors de sa précédente intervention et, se référant aux conceptions géographiques de l’Inde antique, il cherche à élargir le champ du débat en mentionnant des régions géographiques inconnues du Japon d’alors et il demande si l’on tient compte des autres continents. Nichiren citant le Sutra explique que c’est dans cette partie du monde que les indiens appelaient Jambudvipa que le Bouddha a prédit que Sutra du lotus serait propagé et donc que les autres continents ne sont pas concernés.
L’interlocuteur paraît rasséréné par les réponses qui lui ont été fournies. Il semble prendre conscience de l’importance de celui avec qui il débat et lui pose une ultime question : « Et vous, quelles sont vos prophéties ? ». Nichiren annonce que la loi bouddhique se répandra certainement à l’extérieur du Japon. Déjà précédemment il avait annoncé qu’elle repartirait vers l’ouest. Il dit que la nouvelle loi qu’il enseigne s’est accompagnée de bouleversements célestes et terrestres comme on n’en avait plus vu depuis l'extinction du Bouddha. Comme il le dit « Il s’agit uniquement des signes manifestes témoignant de l’effondrement et de l’essor de la grande loi. » L’effondrement ici désigne le bouddhisme antérieur et l’essor la nouvelle loi bouddhique annoncée par Nichiren.
3. Les épreuves et la réalisation
On a l’impression ensuite que l’on sort de la structure du dialogue et que Nichiren porte un regard rétrospectif sur son expérience et atteste de la réalisation qui a été la sienne.
Tout d’abord il rappelle les épreuves qu’il a connues depuis l’établissement de son courant en 1253. Toutes ces persécutions ont même culminé avec sa condamnation à la peine capitale par décapitation (cf. biographie). Les privations et l’indigence ont été extrêmes et il a été difficile de rester en vie. Mais l’éveil bouddhique est là. De sa position d’exilé il affirme sous une forme originale les trois vertus, vertu de souverain : il souhaite guider les souverains du pays malgré le tort que ceux-ci lui ont porté, vertu de maître : rapporter au Bouddha les disciples qui l’ont aidé et vertu de parents : produire le bien suprême (l’éveil) auprès de ses parents. Il dit posséder l’essence même du chapitre du Lotus intitulé Vision du précieux stupa dont il cite deux quatrains qui évoquent la difficulté suprême d’enseigner le Lotus en la période mauvaise de la Fin de la loi. Chose que Nichiren effectue. Toutes ses assertions sont liées à l’éveil. Et enfin il se désigne comme le grand maître de la période actuelle : « Probablement Nichiren de la province de An est-il le successeur de ces trois maîtres et, pour la cause de l’École du Lotus, il en effectue la propagation en la Fin de la loi. Ajoutant un à trois, nous avons donc trois pays et quatre maîtres. »
Pour conclure, nous qui lisons Le Dévoilement des Prophéties du Bouddha presque 750 ans après qu’il a été écrit que pouvons-nous déduire des prédictions qui y sont données à propos de la propagation de la loi bouddhique ?
Rappelons les prédictions que l’on trouve dans ce traité quant au futur de la loi bouddhique :
« La lune se lève à l’ouest et éclaire l’est, le soleil se lève à l’est et éclaire l’ouest. Il en est de même pour la loi bouddhique. Durant la Justesse et la Semblance de la loi, de l’ouest elle s’est dirigée vers l’est et lors de la Fin de la loi, de l’est elle va vers l’ouest. »
« Quand on y réfléchit selon les prédictions du Bouddha, elles s’appliquent au début des cinq cents années suivantes. La loi bouddhique sans aucun doute sortira de cette contrée orientale qu’est le Japon. »
Il est donc indiqué une propagation du bouddhisme de Nichiren vers l’ouest, c’est-à-dire en premier vers la Chine puis vers d’autres pays de l’Asie, dont l’Inde. C’est probablement une des raisons qui ont incité le disciple Nichiji à quitter le Japon en 1295 pour remonter vers le nord puis à s’embarquer pour le continent où ses traces se perdent. Aujourd’hui le bouddhisme du Lotus a été propagé dans plusieurs pays d’Asie, sans que cela ne soit encore un véritable succès. De ce que j’ai vu, il s’agit le plus souvent d’un bouddhisme organisé ‘à la japonaise’ assez loin des modes de compréhension des croyants locaux et donc d’un développement potentiel assez limité. Durant toute son histoire le Japon, probablement en partie à cause de sa situation insulaire, a développé une culture originale et remarquable à bien des égards mais a toujours eu beaucoup de difficultés à entreprendre des relations suivies et compréhensives avec d’autres cultures. Ainsi le Japon contemporain malgré sa puissance économique reste un acteur de second plan dans le domaine des relations internationales ou de la diplomatie.
Nichiren répond à la demande de son interlocuteur en spécifiant que « La loi bouddhique sans aucun doute sortira de cette contrée orientale qu’est le Japon. » C’est ce qu’il faut espérer et ce à quoi nous souhaitons œuvrer. Faute de quoi le bouddhisme japonais d’obédience nichireniste continuera d’être isolé des courants de pensée et des luttes de notre époque. Or l’apport qui pourrait être le sien vis-à-vis des problèmes cruciaux et des maux auxquels les hommes et leur environnement sont confrontés actuellement est fondamental.
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