Contenu scriptural : |
1. Aux quatre coins du gohonzon : les quatre grands rois du ciel ; les deux Rois de Lumières sont à leur place habituelle : Amour à gauche et Immuable à droite.
2. Colonne centrale : Namu Myōhōrenguékyō et tout en bas la signature-kaō de Nichiren.
3. Étage supérieur : tous les noms des personnages sont précédés de Namu.
En partant du centre à gauche : Shakamuni butsu, Jōgyō bosatsu (bodhisattva Pratique-Pure), Anryūgyō bosatsu (bodhisattva Pratique-Pacificatrice). Et à droite, toujours en partant du centre : Tahō nyorai, Jōgyō bosatsu, Muhengyō bosatsu (bodhisattva Pratique-Illimitée).
4. Étage médian : les noms des quatre bodhisattva et des deux grands auditeurs sont précédés de Namu.
À gauche en partant du centre : Fugen bosatsu, Miroku bosatsu, Kashō sonja (尊者, vénérable) puis le grand roi Shakudaikanin (Indra) et Daïgattennō (大月天王, le roi céleste Grande-Lune).
À droite en partant du centre : Monjushiri bosatsu, Yakuō bosatsu, Sharihotsu sonja (尊者, vénérable), Daibontennō, Daïrokutenmaō, Daïnittennō (大日天王, le roi céleste Grand-Soleil).
5. Étage inférieur. À gauche en partant du centre : les dix ogresses et un peu plus haut et plus à gauche Ajase daiō et Daï Ryūō (Grand Roi-Dragon).
À droite en partant du centre : Kishimojin, un peu plus haut et plus à droite tenrinshōō (轉輪聖王, les saints rois qui tournent la roue), Ashuraō et Daibadatta.
6. Un peu plus bas avec leur nom précédé de Namu, à gauche en partant du centre : Myōraku daishi puis Dengyō daishi.
À droite en partant du centre : Ryūju bosatsu puis Tendaï daishi.
7. Dans l'espace vacant qui s'ouvre en dessous du caractère kyō (經) à gauche : Hachiman dai bosatsu et en vis-à-vis à droite : Tenshō daïjin.
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Particularités graphiques : |
Il y a comme un aspect un peu composite dans ce gohonzon avec des particularités graphiques manifestes. Tout d'abord les très grandes différences de tailles et d'écritures des caractères. Les deux colonnes latérales gauche et droite qui comprennent les quatre grands rois du ciel et les deux Rois de Lumières (en écriture siddham) sont inscrites en très grands idéogrammes écrits d'un pinceau particulièrement appuyé, si bien que les traits se superposent. Le kaō-signature est également inscrit d'une façon similaire. Preuve de cette force dans l'exécution de la calligraphie quelques taches d'encre assez épaisses sont visibles, notamment la partie verticale gauche du kaō de Nichiren ou bien dans l'angle droit en haut, le roi du ciel Jikokutennō (持国天王), le caractère ō (王), écrit dans la graphie qui est propre à Nichiren, le trait qui remonte et forme une sorte de boucle.
En comparaison le Daïmoku est écrit dans un caractère plus fin et élancé. La fin de certains des traits de ses caractères divisent l'espace où les personnages viennent prendre place, eux aussi écrits dans une graphie beaucoup plus fine. Contrastant également avec la densité des colonnes latérales il y a des espaces vacants notamment celui qui se trouve au-dessus de la partie gauche du kaō-signature de Nichiren.
Enfin, touche finale qui renforce encore le côté composite, la représentation colorée et très détaillée d'un lotus dans la partie basse du caractère kyō (經). Mais cette peinture est-elle du fait de Nichiren ? Tentons de fournir quelques pistes pour interpréter ce lotus.
1. Aspect du lotus.
Bien qu'un peu estompé, le lotus représenté ici est peint avec délicatesse et précision. Les pétales sont verts et les rainures et contours jaunes. Il s'agit donc d'une représentation aux couleurs vives avec un léger effet de perspective que procure une vue un peu surplombante. Dans l'art bouddhique, c'est typiquement le genre de représentations que l'on retrouve assez fréquemment où la corolle d'un lotus immense sert de base à un bouddha ou bodhisattva. Ici il est comme un socle au Titre encore que vis-à-vis de celui-ci il soit d'une taille plutôt modeste .
2. Chronologie. Ce lotus avait-il été peint sur le papier avant que Nichiren procède à l'inscription ? Quand on le contemple aujourd'hui on a l'impression que le lotus figurait sur le papier avant que Nichiren écrive. Cela est dû principalement au fait que le caractère kyō (經) est écrit par dessus le lotus, le bas de kyō venant se superposer au centre du lotus. Toutefois ce gohonzon a fait l'objet d'une restauration en 1674 et même avant cette époque rien n'empêchait de réécrire l'idéogramme kyō. Comme nous le voyons dans d'autres cas, des rajouts d'inscriptions, de sceaux ou d'autres signes n'étaient malheureusement pas rares de même que des grattages ou d'autres techniques d'effaçage.
Si nous regardons minutieusement, il y a un endroit où nous voyons que le lotus a été peint par dessus le premier caractère hachi (八) du nom de Hachiman dai bosatsu (八幡大菩薩). Ce qui semblerait plutôt indiquer que le lotus aurait été peint après l'écriture par Nichiren. Mais là encore ce n'est qu'une hypothèse, on ne sait pas les modifications que les restaurations ou initiatives particulières ont pu apporter. En fait il n'y a que deux possibilités : ou bien le lotus avait été dessiné sur le papier avant que Nichiren inscrive le gohonzon, auquel cas il s'agirait d'une requête particulière, ou bien il a été rajouté après. Et si c'est le cas on peut se demander quand, auquel cas il n'est pas sûr du tout que Nichiren ne l'ait jamais vu.
3. Cohérence graphique avec le gohonzon.
Sur certains clichés, peut-être plus anciens, le lotus peint n'apparaît presque pas ; ou alors il faut regarder avec une attention très aigue. On n'a pas l'impression que quoi que ce soit manque à l'équilibre général qui est très dynamique tel que nous le décrivions dans le premier paragraphe de cette rubrique : styles d'écritures et tailles des idéogrammes très différents entre les colonnes latérales, le kaō-signature d'une part et le Daïmoku et les personnages d'autre part, espace vacant à gauche qui donne une impression d'élévation pour la scène d'enseignement du Lotus avec le Titre au centre et les personnages disposés dans des surfaces géométriques déterminées par certains traits du Titre.
En quoi la représentation figurative du lotus vient-elle changer la donne ? Pour commencer par une évidence, le lotus peint attire le regard d'autant plus par ses couleurs vives et la finesse du dessin. Il introduit de la polychromie dans une catégorie d'œuvres qui en est dépourvue. Il amène également un plan supplémentaire dans les différents degrés de profondeur (de perspective) du gohonzon : un premier plan les deux colonnes latérales et le kaō-signature puis l'assemblée des personnages et enfin le Daïmoku. Le lotus peint semble encore un peu plus loin vu que le dernier caractère du Titre, l'idéogramme est inscrit par dessus. Pourtant l'emplacement où il figure est probablement celui qui est le mieux à même de ne pas abîmer l'équilibre général. Comme un filigrane il est d'une autre nature que l'écrit. Ce qui n'empêche pas de s'interroger sur sa nécessité.
Nous retombons donc toujours sur la même interrogation : ce lotus figurait-il sur le papier avant que Nichiren inscrive ce gohonzon ou bien a-t-il été rajouté ensuite ? Il serait intéressant de résoudre cette question. Les instruments de mesure et d'analyse actuels avec lesquels les œuvres d'art anciennes sont interrogées de nos jours permettent de le faire. En levant ce doute on pourrait retrouver une meilleure intelligibilité de ce mandala.
4. Du point de vue de la doctrine.
La particularité des gohonzon créés par Nichiren est d'être des mandala scripturaux. Il se départit radicalement de l'art bouddhique antérieur où l'on trouvait des mandala picturaux, symboliques - avec notamment emploi de lettres stylisées en siddham, de formes géométriques ou de motifs dessinés -, voire des représentations mélangeant ces différents éléments. Nichiren crée le gohonzon scriptural (文字御本尊, moji gohonzon) c'est-à-dire un gohonzon où toutes les inscriptions sont des mots. Chose étonnante ces mots qui sont majoritairement des personnages sont traités comme des êtres, ils sont représentés à une place spécifique pour recréer la cérémonie de l'enseignement du Sūtra du lotus ou pour illustrer des principes bouddhiques, par exemple la hiérarchie des dix mondes. Lui même, par exemple dans la Réponse à dame Nichinyo en parle ainsi : "Ce honzon est l'empreinte du vénéré du monde, le grand Muni dans le stupa précieux de Maints-Trésors et des bouddha du corps fractionné. Alors, les cinq caractères de l'Intitulé sont portés au centre, les quatre grands rois du ciel prennent place aux quatre directions du stupa précieux, Shakya, Maints-Trésors et les quatre bodhisattva de la conversion originelle alignent leur silhouette, Sage-Universel et Manjushri, Shariputra et Maudgalyayana s'asseyent, les divinités Soleil, Lune, le Roi-Démon du sixième Ciel, le Roi Dragon, Asura, et au dehors Immuable et Amour prennent position, le vicieux Deva, la sotte Fille-Dragon gagnent leur place et non seulement ces mauvaises déïtés qui volent la longévité des hommes des trois mille mondes, la Déesse Mère des Enfants Démons et les dix ogresses mais aussi les divinités tutélaires du Japon, Tenshōdaijin, le grand bodhisattva Hachiman ... toutes les petites et grandes divinités du ciel et de la terre, divinités incarnées, prennent rang ". Sur le gohonzon les noms qui représentent les personnages les incarnent, dès lors des actions leur sont attribuées : prennent place, alignent leur silhouette, s'asseyent, gagnent leur place, etc. De même des traits de caractères sont figurés, Devadatta est dit vicieux, la Fille-Dragon est sotte, etc. Mais ces personnages avec leurs caractéristiques, leur destin, sont représentés sous forme de mots calligraphiés.
Dans une autre lettre, la Réponse à Kyōō il dit : "Nichiren a teinté son âme d'encre sumi et a écrit, et ce pour que vous croyiez" (Shōwa teïhon p 751). Nous voyons donc que la matière même du mot inscrit, l'encre, devient alors le véhicule de transfert de l'Éveil. C'est cette encre qui forme les mots écrits sur le gohonzon dans une calligraphie et un agencement particuliers dont chaque mandala inscrits par Nichiren présente une variation sigulière. Dès lors on voit mal ce que le lotus peint pourrait apporter de plus sinon un élément figuratif et décoratif. À propos de ce gohonzon une analyse structurelle et scientifique s'impose donc pour nous permettre d'affiner la compréhension que nous pouvons avoir de ce lotus dessiné.
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