Réponse
à dame nonne Myōshin[i]
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J’ai
bien reçu les nourritures monacales que vous
m’avez fait
porter.
Le jour où feu le renonçant[i] nous a laissés a déjà passé, mais pris que j’étais par les diverses choses, je ne m'en suis pas souvenu ; vous, bien sûr, vous n’avez pas oublié. Un homme qui s’appelait Suwu[ii] fut mandaté par le roi des Han pour une mission en pays Hu[iii]. Il fut donc séparé de sa femme durant dix-neuf ans. Elle ne pouvait l'oublier et se languissant de lui, elle prenait les vêtements de son mari pour les battre chaque automne afin que par ce bruit ses pensées parvinsent à son époux. Celui que l'on nommait seigneur de Chen[iv], lorsqu'il dut quitter son épouse brisa un miroir, chacun des conjoints en gardèrent un fragment et quand elle l'oublia, un oiseau s'envola. Une personne du nom de Xiangsi[v] se languissant de son époux, se rendant sur la tombe de ce dernier, se transforma en un arbre que l'on nomme maintenant Pensée des apparences[vi]. Une autre encore, déplorant que l'homme qui lui était lié parte pour la Chine, devint une divinité, il s'agit de la déesse de clarté Shiga[vii] ; quand on va en Chine on l'évoque en voyant son île dont la forme rappelle celle d'une femme, c'était la princesse Sayo de Matsura[viii]. Depuis les temps anciens et jusqu'à maintenant, il n'est pas de cas où les séparations entre parent et enfant ou entre suzerain et vassal ne soient pas affligeantes et pourtant les séparations entre homme et femme sont plus considérables encore. Du passé le plus reculé, vous avez eu ce corps féminin mais cet homme aura été votre dernier ami de bien[ix] en Saha[x]. Bien que les fleurs soient éparpillées et les fruits tombés, refloraison se fera Pourquoi ceux-là qui ont disparu ne reviennent pas ? Ainsi les pensées toujours restent sombres[xi]
Onzième mois, deuxième jour Nichiren Réponse
à dame nonne Myōshin[xii] Zenshu
p. 1482 Teihon
p. 1706 Notes i]Selon
les éditions, différents titres pour cette
lettre : 持妙尼御前御返事 (Jimyōamagozegohenji)
et 妙心尼御前御返事 (Myōshinamagozegohenji). [i]Il
s'agit de l'époux de la nonne Myōshin. [ii]Suwu (蘇武, -140 ?~ -60) :
officier chinois de l'époque de Han antérieurs (前漢)
célèbre pour sa loyauté. En -100, il
est envoyé en
mission auprès des Xiongnu par l'empereur Wu dont il
commandait la garde. A cette époque, les relations antagonistes qui
prévalaient entre les cours
chinoise et xiongnu connaissaient une certaine accalmie. Malheureusement deux officiels qui l'avaient
accompagné
auprès du roi des Xiongnu complotent contre ce dernier. Le
complot est
découvert et bien que n'y étant pas
mêlé, Suwu tente de se suicider. Il est
ensuite emprisonné dans des conditions très
dures, le roi Xiongnu voulant se
l'attacher mais Suwu reste fidèle à son suzerain
et refuse de servir à la cour
xiongnu. Il est ensuite exilé près du lac Baikal
et vit dans l'indigence. Quand
il apprend la mort de son suzerain, l'empereur Wu il tombe gravement
malade. En
- 81, lors d'une nouvelle période de détente
entre les Han et le Xiongnu, un
ambassadeur han essaie d'obtenir des informations sur Suwu. En effet
depuis son
exil, cela faisait 19 ans que l'on était sans nouvelles de
lui. Les Xiongnu
répondent que Suwu est mort depuis longtemps mais
heureusement un de ses vieux
serviteurs se sert d'un stratagème inventif pour faire croise
aux Xiongnu que
l'empereur de Chine a pu avoir des nouvelles de son officier. Suwu peut
donc
regagner son pays après de longues tribulations. Il est
nommé à un poste
important et servira encore sous deux règnes. Il incarne la
loyauté qui ne
faiblit pas même confrontée à des
épreuves cruelles. Un air de musique chinoise
classique, généralement joué
à la flûte lui est consacré, Suwu gardant les chèvres (Suwu
mu yang, 蘇武牧羊), illustration
probable de la vie d'exil de cet
officier.
On trouve
d’autres références aux personnages qui
se sont illustrés durant le long
conflit entre les Chinois et les Xiongnu dans les écrits de
Nichiren, notamment
Li Guang (李
廣, ?~-119) qui est
mentionné
dans la Réponse à dame Nichinyo.
Pour plus
d’informations sur les conflits entre la Chine et les Xiongnu
on se reportera à
l’historique suivant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Xiongnu. [iii]
Pays Hu (胡
國,
Huguo , Kogoku) : pour les Chinois, depuis
l’antiquité, cette expression désignait
les royaumes barbares du nord dont les
invasions répétées ont
été une constante historique. [iv] Seigneur de Chen ( 陳 子, Chenzi) : dates incertaines. Il s’agit de Xudeyan (徐 徳言), haut fonctionnaire du royaume de Chen (陳), période des Six dynasties, qui vécut la fin de la dynastie des Chen (589) avant la réunification de l’empire chinois sous la bannière des Sui (隋). Il apparaît dans deux récits bien postérieurs à son existence, le Benshishi (本 事詩, Odes des faits historiques, époque Tang) et le Taipingyulan (太 平御覧, époque des Song du nord, XIe siècle). Selon ces livres, il aurait vécu à la fin de la dynastie des Chen. Marié à la fille du quatrième empereur des Chen, prévoyant que la guerre contre les Sui le porterait à être séparé de son épouse, il brisa en deux un miroir précieux dont il avait hérité et remit à celle-ci une moitié de ce joyau, gardant l’autre pour lui. Ils convinrent de se retrouver une fois par an au marché de la capitale et, au cas où l’un d’entre eux ne pouvait s’y rendre, de confier le demi miroir à un marchand, celui-ci pouvant alors dire ce qui était arrivé. Xudeyan, après un an se rendit au marché, ne voyant pas sa femme, il retrouva néanmoins l’objet et apprit que celle-ci était devenue la concubine d’un ministre des Sui. Il écrivit sur le miroir un poème pour exprimer son désespoir. Lorsque son épouse le lut, elle inscrivit une suite à ce poème et sombra dans une mélancolie profonde. Le ministre Sui, s’inquiétant de la voir ainsi apprit toute l’affaire et noblement invita Xudeyan et lui rendit sa femme. Cette histoire tardive est probablement légendaire. Le double poème est encore connu sous le nom de Complainte unie du miroir brisé ou Réunion du miroir brisé. Dans la Réponse à dame nonne Myōshin, Nichiren doit évoquer d’autres sources littéraires, selon lesquelles une fois que l’épouse, serait devenue la concubine d’un autre, la moitié de miroir qui lui avait été confiée, se serait transformée en une pie et aurait retrouvé l’infortuné Xudeyan. [v]
Xiangsi (相
思) :
dates incertaines, femme
qui aurait vécu en Chine à
l’époque des Royaumes combattants (-V e
~
-IIIe siècle). Citée par
Nichiren dans la Réponse
à dame nonne Myōshin, selon ce texte,
elle serait morte éplorée sur la tombe de son
mari et ensuite un arbre aurait poussé là que
l’on appelle depuis du nom de
cette veuve, Pensée des Apparences (cf.
Acacia confusa). [vi] (相 思樹, xiangsishu, sōjiju) Acacia confusa, arbre que l’on trouve en Asie, acacia de grande taille dont les fleurs sont jaunes. Pour plus de détails voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Acacia_confusa. Cité par Nichiren dans la Réponse à dame nonne Myōshin ,voir Xiangsi. [vii] Déesse de clarté Shiga (志賀の明神, Shiganomyōjin) : voir Princesse Sayo de Matsura (松浦佐用姫). [viii] Princesse Sayo de Matsura (松浦佐用姫, Matsura Sayo hime) : Cette princesse japonaise aurait vécu au VIe siècle. Celui qu’elle aimait devant se rendre au royaume de Silla (Corée), elle monte sur le mont Kagami (mont du Miroir, 鏡 山, département de Fukuoka) pour suivre le départ de du bateau en agitant un tissu, une sorte de châle qu’elle portait. Pleine de douleur elle reste là durant sept jours jusqu’à se transformer en rocher. Elle est honorée depuis sous le nom de Déesse de clarté Shiga (志賀の明神, Shiganomyōjin). Citée par Nichiren dans la Réponse à dame nonne Myōshin. Pour une photo d’une statue (moderne) de cette princesse, on se reportera ici. [xi] Nous avons là un exemple de deux poèmes classiques courts (短 歌, tanka) composés par Nichiren. Cette forme très employée obéit à une prosodie précise, comportant 31 pieds, sur un rythme 5 -7-5-7-7. Pour la traduction, j’ai séparé en 2 vers, le premier reprenant ce que l’on appelle le hokku (発 句), vers initial d’un rythme 5 -7-5, qui est à l’origine du genre poétique ultérieur du haiku (俳句). [xii] Dame
nonne Myōshin (妙心尼御前,
Myōshinamagoze)
:
dates imprécises, croyante qui vivait dans la
région du mont Fuji. Elle prend
foi lorsque son mari tombe gravement malade. Après le
décès de son époux, elle
approfondit sa foi et devient une religieuse. Au fil de la
correspondance
qu'elle entretient avec Nichiren, c'est probablement elle que nous
retrouvons
sous différents noms : Nonne de Kubo (窪尼,
Kubonoama), Nonne Jimyō
(持妙尼, Jimyōama). |
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