Nichiren et la menace mongole
En marge de la vie de Nichiren, il y a la menace que fait peser sur le Japon l’empire chinois de la dynastie mongole des Yuan. Rappelons quelques faits. Le grand Khan Kublai (1215 – 1294), petit-fils du Khan Gengis, a déjà établi sa domination sur l’ensemble des tribus mongoles, conquis le nord de la Chine et la Corée. En 1264 la capitale est transférée de Karakorum à Yenjing (Pékin). Les visées expansionnistes de Kublai, qui jusqu’à présent n’a été que victorieux, sont démesurées. Il envisage d’attaquer le Japon mais aussi Java ou la Birmanie. Toutefois, les troupes mongoles n’ont pas l’expérience de la navigation ni du commandement d’une grande flotte. Il s’appuie sur ses vassaux coréens qui vont devoir construire et équiper une véritable armada. En 1268, les autorités japonaises de la régence du bakufu apprennent qu’un émissaire mongol est arrivé au Japon ; toutefois après de nombreuses tergiversations, cet émissaire n'aura pas d'entrevue ni avec la régence ni avec la cour impériale. Huit ans auparavant, Nichiren avait adressé à Hojo Tokiyori, ancien régent, le Traité sur la pacification du pays et l’établissement de l’orthodoxie (立正安國論, Rissho ankoku ron). Dans ce texte il enjoignait aux autorités japonaises de se convertir au bouddhisme du Sutra du lotus pour échapper à l’attaque d’un pays étranger et aux luttes internes. On n’a pas l’impression qu’à cette époque le pouvoir militaire japonais, bien que sachant probablement ce qui se passait sur le continent, ait été très alerté. De par sa position d’île, le Japon n’avait jamais été attaqué. De plus, l’énorme empire chinois n’était pas avide de conquêtes et avait plutôt toujours eu à se défendre des barbares qui déferlaient du nord et de ses propres forces centrifuges. On ne sait pas les informations dont disposait Nichiren quand il a commencé la rédaction de son traité vers 1257. Certains chercheurs japonais ont avancé l’hypothèse selon laquelle il se serait renseigné sur la situation sur le continent lorsqu’il étudiait au mont Hiei dans le but d’accomplir un voyage en Chine. Il aurait également pu être en contact avec des moines chinois. Il s’agit là de suppositions, je ne sais pas si dans le cas de Nichiren, le fait de se rendre en Chine pouvait avoir une grande signification. Contrairement à la première vague des moines japonais du VIIIe siècle, il n’avait pas à aller chercher les textes ou une initiation à une tradition spécifique comme l’avait fait Dogen par exemple. On voit qu’il comptait, tout d’abord, sur son intelligence et sur l’étude des textes pour percer l’intention du Bouddha. Un nouvel émissaire de la cour mongole fut mandaté et parvint au Japon en 1268, porteur d'une missive demandant l’établissement de relations entre les deux pays. Toutefois, par endroit, le texte de cette lettre laisse transparaître une forme de menace. Notamment, il suggère que faute d'obtenir satisfaction, l'empire mongol aurait recours à la force armée (用兵, yongbing). Nichiren, de retour à Kamakura, écrit à des officiels et aux dignitaires religieux des grands temples, leur rappelant ses prophéties et les enjoignant de considérer la foi dans le Sutra du lotus comme unique moyen de sauver le pays. Dans le même temps, il écrit à ses disciples pour les prévenir de s’attendre à de sévères persécutions. En 1271, la dynastie que l’on désignait du terme Mengku (蒙古, Mongole) prend le nom de Yuan (元), dans une volonté de légitimation et de sinisation. Toutefois l’ancienne dynastie des Song tient encore le sud de la Chine. Elle est connue sous le nom de dynastie des Song du sud et sa capitale est à Hangzhou dans le Zhejiang. Elle survivra encore huit ans avant d’être renversée par les troupes mongoles. La Corée doit construire et armer une flotte considérable (peut-être 900 bâtiments) sur laquelle embarquent des troupes composites (Coréens, Mongols, Chinois) dont on estime les effectifs jusqu'à 40 000 hommes. L’attaque est lancée en 1274. Les îles de Tsushima et d’Iki dans le Détroit de Corée sont conquises, les populations détruites ou capturées. La flotte mongole effectue ensuite un débarquement en Kuyshu à Hakata que défend une concentration importante de guerriers locaux et de renforts envoyées par le régent Tokimune. Durant une journée, les combats sont d'une extrême intensité. Les défenseurs japonais sont surpris pas les armes nouvelles de l'envahisseur (flèches empoisonnées, explosifs). Hakata est dévastée, toutefois les guerriers japonais ont résisté et, à leur stupéfaction, le lendemain l'armada ennnemie a disparu... Différentes hypothèses ont été émises pour tenter d'expliquer ce phénomène qui reste encore mystérieux : tempête, dissensions au sein du commandement mongol confronté à une résistance plus forte que prévue, épidémie... En fait nous ne connaissons pas les intentions réelles du commandement mongol ni les objectifs impartis à ce premier assaut. Kublai annexe l'ensemble de la Chine et une nouvelle flotte d'invasion est armée en Corée, trois fois plus forte que la précédente. En 1281, elle surgit au large des côtes nippones et comme la première vague, ravage les îles de Tsushima et d’Iki. Les guerriers japonais qui connaissent maintenant les armes de leurs ennemis ont bâti des fortifications, notament un mur de pierres pour protéger la baie de Hakata. Ils empêchent les mongols d'effectuer un débarquement massif et de déployer leurs troupes. Après une semaine de combats, un typhon vient à leur secours, c'est ce que l'on désignera plus tard par l'appellation kamikazé (神風), le vent divin. Les nombreux soldats de l'armée mongole (peut être quelques dizaines de milliers) restés à terre seront massacrés. Selon des fouilles récentes, la mauvaise facture des embarcations aurait été un facteur aggravant (à ce sujet, voir une étude en anglais qui va jusqu'à affirmer paradoxalement que même sans le kamikaze, cette flotte d'invasion était particulièrement vulnérable). Des illustrations d'époque relatant les péripéties de l'invasion mongole ont été effectuées sous forme de rouleaux, ancêtres des bandes dessinées, elles sont appelées les Dits et Images de l'Invasion mongole (蒙古襲来絵詞, Moko shurai ekotoba, cf. ci-dessous, guerrier japonais poursuivant des soldats mongols).
Au début du XXe siècle, certains penseurs japonais militaristes et nationalistes, tel Tanaka Chigaku (田 中智学), avaient fait de Nichiren leur héros. Ils prétendaient que celui-ci avait eu une action décisive dans la défaite mongole. A la lecture des textes on a plutôt une impression opposée. Nichiren n’appelle pas à une résistance contre l’envahisseur. Ces propos sont même défaitistes. Il présente l’invasion mongole comme la terrible sanction de l’opposition des Japonais, dirigeants et peuple confondus, au Sutra du lotus. En 1279 il écrit «Vous n’étiez pas du nombre des victimes de l’année passée ni de celle d’avant mais il semble bien que cette fois-ci on ne puisse éviter l’assaut mongol. De toute façon, la mort est certaine. A cet instant l’angoisse est semblable à celle de ces deux périls» (Réponse au seigneur de Ueno, la Porte du Dragon). Pour plus de détails sur les préparatifs militaires de ces campagnes, on se reportera au roman de Inoue Yasushi, Vent et vagues, qui décrit les sacrifices de la Corée pressurée par Kublai, pour construire son immense armada. |
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