Réponse au moine Abutsu




J’ai lu attentivement le contenu de votre lettre.

Le vénéré du monde1 Grand Eveil2 nous a enseigné naissance, vieillesse, maladie et mort3 et aussi naissance, stabilisation, altération et disparition4.

Déjà naissance m’est échue et, à près de six décennies5, il semble bien que  vieillesse me soit impartie. Il ne reste donc plus que les deux termes maladie et mort.

Depuis le début de l’année jusqu’à ce sixième mois, la maladie ne m’a pas laissé de répit. Devrait-on douter de la mort ?

Dans un sutra il est dit : « Une fois naissance et disparition éteintes
L’extinction paisible se fait joie 6»

Maintenant, devrais-je me lamenter d’abandonner ce corps putride7 pour un corps en or8 ?




Troisième jour du sixième mois9                                         Nichiren10


Au moine Abutsu











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1Seson, shizun, bhagavat. Un des dix titres honorifiques du Bouddha.


2 Daïkaku, dajue. Désigne le bouddha Shakyamuni.


3 Sho ro bio shi, sheng lao bing si, jati jara vyadhi marana.. Quatre souffrances (shiku) fondamentales inhérentes à l’existence. Quatre premières des huit souffrances (hakku), les quatre autres étant davantage liées à l’affect : séparation d’avec ceux que l’on aime, fréquentation de ceux que l’on déteste, recherche de ce que l’on ne peut obtenir, préhension des cinq éléments (forme, perception, conception, volition et conscience, c’est à dire que le fonctionnement même de ces cinq éléments est douloureux). D’une façon plus générale, cela renvoie à l’origine même de la doctrine bouddhique, à savoir les quatre vérités. La vérité de la souffrance étant la première d’entre elles. On aurait tort de voir dans ces quatre souffrances uniquement la souffrance physique liée à la naissance, au vieillissement, à la maladie ou à la mort. Pour le sujet lui-même, cela recouvre également l’appréhension liée à son devenir ainsi qu’à celui de ceux qui lui sont chers. Ainsi il y a toujours une sorte de problématique de l’accroissement qui est liée à la souffrance et qui dépasse de loin la douleur physique.

4 Sho ju i metsu, sheng zhu yi mie. Quatre modes du composé (cf. composé, note 16 Lettre à Niike). Egalement appelé quatre aspects ou quatre modes. Phases par lesquels passent tous les phénomènes et qui en globalité se traduit par l’impermanence et l’évidence de la temporalité (ketaï, jiadi).


5 Jun. Décennie, période de dix ans. Nichiren avait cinquante six ans lorsqu’il écrivait cette lettre et était donc entré depuis quelques années dans sa sixième décennie.


6 Shometsu mettchi jakumetsu i raku, sheng mie mie yi jimie wei le. Deuxième partie de la célèbre stance du treizième volume du Sutra du nirvana qui est dite par Indra déguisé en démon au Garçon des Monts enneigés et qui permet à ce dernier d’appréhender la loi bouddhique, cf. Réponse à Sire Matsuno (Matsuno dono gohenji, Showa teïhon p 1264) :
« Les multiples mouvements sont impermanents

Car soumis à la loi de naissance et disparition

Une fois naissance et disparition éteintes
L'extinction paisible se fait joie
»



7 Dokushin, dushen. Littéralement corps empoisonné. L’expression désigne le corps qui est infecté par les trois poisons (sandoku, sandu) : la convoitise (ton, tan), la colère (jin, chen) et la stupidité (chi, chi). Toutefois j’ai traduit par putride car je crois qu’ici, cette expression même si elle provient de la terminologie bouddhique désigne surtout le corps vieillissant et malade.


8 Konjin, jinshen. Corps du Bouddha impérissable comme l’or. Equivalent : kongoshin, jingangshen corps de diamant.


9 Cette lettre a été écrite en première année Koan c’est à dire 1278.


10 Signature Kao (monogramme fleuri).


11 Abutsu bo (1189 ? – 1279). Disciple de Nichiren. Son nom complet était Amidabutsu bo. Amidabutsu étant l ‘appellation du bouddha Amita en japonais, après sa conversion au bouddhisme du Lotus, il a probablement modifié son nom. Laïc retiré (nyudo) amidiste, ancien bushi exilé sur l’île de Sado après la défaite des troupes impériales de l’ère Jokyu (1221). Il habite non loin du cimetière de Tsukahara dont la chapelle sert de refuge à Nichiren au début de son exil. Venu pour débattre avec Nichiren, finalement ce vieil homme abandonne l’amidisme. Sa femme, la nonne Sennichi se convertit également. A la fois le moine Abutsu et son épouse ont reçu de Nichiren des lettres très importantes. Malgré son âge il se serait rendu jusqu’au mont Minobu pour revoir Nichiren. Il meurt à Sado en 1279.