Nichiren et la dévotion au Lotus











  Les doctrines de Nichiren forment un corpus assez complexe. Dans le passé, à part certains moines érudits, peu avaient accès à l’ensemble de ses écrits ou de ceux qui lui sont attribués. Ce n’est qu’un phénomène assez récent qui fait que l’on dispose de sources abondantes. Même si certains ses écrits, correspondances ou notes, ne nous sont pas parvenus ou nous sont parvenus de façon incomplète sous une forme endommagée, nous disposons d’un matériau d’étude abondant pour approcher sa pensée. Il arrive même, et le fait s’est produit récemment, que l’on retrouve au fin fond d’un temple japonais de "nouvelles" lettres authentiques. Cette profusion d’enseignements est un phénomène récent ; propre à notre culture.






  Du temps de Nichiren et dans les premiers âges de son école, il n’en allait pas de même. Hormis certains disciples très proches de lui, ou d’autres qui reçurent nombre de traités importants, la plupart des disciples avait assez peu d’informations détaillées sur ses doctrines. Certains l’avaient rencontré, reçu une ou quelques lettres, d’autres étaient en contact avec un disciple plus avancé ou un petit groupe de fidèles. Cette difficulté d’obtenir un enseignement détaillé apparaît dans la Réponse à sire Matsuno où Nichiren conseille à Matsuno de questionner un autre disciple érudit, le moine Sanmi, et d’obtenir ainsi des éclaircissements sur la doctrine, même si ce dernier ne semble pas inspirer énormément confiance. Le fait d’adhérer à ce nouveau bouddhisme était un acte de foi et d’engagement. Les contenus et modalités de la pratique religieuse étaient peu définis sinon réciter Namu Myohorenguékyo et certaines portions du Sutra du lotus.






  Mais en quoi consistait cette foi ? Ce en quoi Nichiren demande à ses disciple de croire c’est la prééminence absolue du Sutra du lotus sur tous les autres enseignements bouddhiques. Leur pratique religieuse est, avant tout, basée sur ce sutra, sur une réflexion approfondie sur son contenu et sur la récitation de son Titre.






  Le Sutra du lotus était l’un des sutra les plus appréciés en Asie. Importé au Japon depuis le VIe siècle, il fut recopié et commenté par le prince Shotoku (574 – 622) que Nichiren désigne du terme de Jogu. Au VIIIe siècle, des assemblées régulières de moines le commentaient, Saïcho (Grand Maître Dengyo, 767 – 822) fondateur du Tendaï au Japon en accrut également la renommée. Le Sutra du lotus était donc bien diffusé dans la culture japonaise d’alors comme c’est le cas aujourd’hui encore sous d’autres formes. Cependant, pour Nichiren, la prééminence absolue du Lotus, dans les faits, n’est reconnue par aucun des mouvements religieux de son temps. Tous placent d’autres sutra en plus haute considération et le syncrétisme vers lequel a évolué le Tendaï ne lui semble pas de bon aloi. Pour lui l’origine des malheurs du temps c’est la non reconnaissance du Sutra du lotus. Cette non reconnaissance étant d’abord une incompréhension profonde due aux capacités amoindries des hommes de cette époque dite de la fin de la loi. Non seulement le Sutra du lotus n’a pas le rang qui lui convient mais on vénère plutôt les bouddha symboliques des autres sutra et on délaisse le bouddha du Sutra du lotus. Or, dans cette époque mauvaise, ce n’est que la dévotion au remède efficace du Lotus qui permet l’éveil et non des succédanés.






  D’ailleurs ce n’est pas un hasard si les écoles nichirenistes reconnaissent pour date de fondation 1253 qui représente la première récitation publique par Nichiren du Titre du Sutra du lotus et l’affirmation de la prééminence de celui-ci sur les autres enseignements. Déjà Zhiyi (538-597) avait voulu démontrer cette supériorité du Lotus sur les autres sutra par différentes classifications notamment celle des quatre enseignements. Mais après le déferlement de la pratique religieuse de l’amidisme, qui consiste essentiellement à réciter le nom du bouddha Amita, précédé de la formule votive Namo ou Namu, il fallait une pratique religieuse plus adaptée à l’époque et plus accessible que l’Arrêt et examen du Tiantai. Et, en même temps, pour Nichiren, cette pratique devait se rapporter de façon intrinsèque au Sutra du lotus lui-même.






  Ainsi, selon Nichiren, la dévotion au Sutra du lotus peut s’exprimer à la fois en tant que pratique religieuse par la récitation du Titre ("sans pensée autre", précise-t-il) et en tant que doctrine, par une réflexion et une méditation sur le texte du sutra et ses implications.






  Pourquoi ce choix du Sutra du lotus ? Il est en fait très difficile de répondre à cette question sinon en citant les textes. A la lecture, ce sutra qui baigne dans une atmosphère merveilleuse conserve bien des sens énigmatiques. Il fourmille d’indications et de détails qui peuvent mettre le lecteur sur la voie mais, tout aussi bien, le désorienter. Un long travail d’intériorisation de ce sutra est nécessaire pour commencer à se familiariser avec cet univers. Répondre à la question pourquoi le Sutra du lotus, c’est répondre à la question pourquoi Namu Myohorenguékyo ; Myohorenguékyo étant la lecture japonaise du titre du Sutra du lotus dans la version chinoise de Kumarajiva. Je ne prétends pas répondre à cette question dont la réponse est probablement le contenu même de l’éveil.






  Pour comprendre la force de la dévotion que Nichiren voue au Sutra du lotus, il faut se reporter au début du traité En une vie devenir le Bouddha : "Si vous voulez interrompre le cycle sans commencement des vies et morts et, cette fois-ci, attester infailliblement de l’éveil suprême, vous devez alors examiner le principe merveilleux des êtres en son état originel. Ce principe est le Sutra de la fleur de lotus de la loi merveilleuse.

"C’est pourquoi réciter ce sutra revient à examiner, en son état originel, le principe merveilleux des êtres. Et puisque ce roi des sutra est absolument véridique dans sa doctrine, ses mots et ses phrases sont l’aspect réel et l’aspect réel est la loi merveilleuse"






  Dans cette citation nous voyons bien que le Sutra du lotus n’est pas simplement un texte ou un enseignement, mais le principe même, la réalité de l’éveil bouddhique. Cette "intériorité" du Lotus demeure une constante de la vision de Nichiren.






  Pour lui, le Sutra du lotus est l’enseignement de l’éveil du Bouddha, non pas avec les mots des hommes mais avec ceux du Bouddha. En ce sens il est la pratique personnelle (jigyo, zixing) du Bouddha et les autres sutra eux sont l’adaptation à autrui (keta, huata). Nous avons peut-être là un début de réponse à ce choix du Sutra du lotus, et à l’affirmation sans cesse réitérée au fil des traités de Nichiren de sa prééminence absolue.






SUITE Nichiren et ses disciples]



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