La Représentation des quatre bodhisattva


四菩薩造立鈔



Commentaires


Nichiren shonin ibun, Showa teïhon p 1647







Cette lettre a été écrite en 1279, alors que Nichiren avait cinquante-sept ans. Il résidait alors, depuis cinq ans, dans les parages du mont Minobu. Le destinataire de cette lettre, Toki Jonin (1216 – 1299 ?), était l’un des principaux disciples laïcs de Nichiren et il a eu, à plus d’un titre, un rôle déterminant dans l’édification de la nouvelle école bouddhique du Lotus.


Légèrement plus âgé que Nichiren, Toki est un croyant de la première heure (1254). Il est probablement celui qui a reçu le plus de lettres et de traités de Nichiren. Citons parmi de très nombreux autres : En une vie devenir le Bouddha (1255), le Traité sur le Vénéré fondamental que révèle l'examen du cœur (1273), la Représentation des quatre bodhisattva (1279). Après la mort de Nichiren, Toki et ses disciples auront un rôle très important pour dresser la liste des écrits du maître et collecter des copies de lettres. Ses travaux seront à l’origine de la première compilation (XV° siècle) puis de la publication d’écrits du Maître, le Rokunaï gosho (XVII° siècle). De par la stabilité de sa position sociale et sa rigueur intellectuelle, il a eu un rôle central dans la diffusion des idées et des informations dans la nouvelle communauté des croyants. Sa demeure aura également servi de refuge dans des temps troublés, Nichiren vient s’y réfugier après la persécution de Matsubagayatsu (1260) et en 1279 Nichiju et Nichiben y seront accueillis lors des évènements d’Atsuhara. Enfin, comme en témoigne le début de cette lettre, durant près de trente ans, il aura été un interlocuteur privilégié de Nichiren.


La structure de cette lettre apparaît immédiatement lorsqu’on regarde le texte japonais. Chaque sujet est une réponse aux questions d’un courrier de Toki et commence par le caractère « un » qui sert de marque d’alinéa et est suivi d’une phrase telle que «Dans votre lettre vous me dîtes avoir appris... ». Nous avons donc deux thèmes majeurs développés (la représentation des quatre bodhisattva et le jugement sur ceux qui rejettent la doctrine empruntée) et la nouvelle du décès du moine Sanmi.



La représentation des quatre bodhisattva.

Quelle différence entre le Nichiren de cette lettre et celui que nous présentent certains mouvements religieux actuels ! A la lecture de ce texte, on se rend compte que pour Nichiren comme pour son interlocuteur, le rituel était dans une évolution rapide car nourri de réflexions sur les doctrines et la spiritualité.

Nichiren se place dans le contexte historique de l’évolution du bouddhisme au Japon depuis son implantation à l’époque du prince Shotoku (VI° siècle). Quelles sont les représentations statuaires ou picturales qui ont été donné comme vénéré fondamental dans les différents temples ? Après en avoir énuméré quelques-uns, il donne son opinion : dans la période actuelle, celle que le bouddhisme qualifie de fin de la loi, on doit représenter le bouddha du Sutra du lotus accompagné des quatre bodhisattva surgis de la terre pour servants. On peut s’interroger sur la façon de représenter ce groupe de cinq personnages. Celle qui vient le plus spontanément à l’esprit, au vu du contexte et des exemples précédemment cités, est une représentation sculpturale appelée pentade et qui montre un personnage central entouré de quatre personnages (cf. servants). J’ai trouvé sur le site de la Sokagakkai USA, une traduction de ce texte en anglais ainsi qu’un commentaire (http://www.sgi-usa.org/buddhism/library/Nichiren/wnd/concord/pages.view/979.html). Selon ce commentaire, cette représentation des quatre bodhisattva désignerait le honzon écrit de Nichiren. Pour l’auteur de ce texte, le fait que Toki, six ans auparavant avait lu le Traité sur le Vénéré fondamental que révèle l'examen du cœur, crée un contexte et des notions communes entre les deux hommes qui corroborent cette interprétation.

L’argument résiste mal à l’analyse et ce, au moins, pour deux raisons. La première est que le honzon écrit de Nichiren, qui est dans son système l’une des trois grandes lois ésotériques, comporte les noms de nombreux personnages et on comprend mal pourquoi ce gohonzon des dix mondes devrait être qualifié de « représentation des quatre bodhisattva». La seconde raison tient à la logique interne à ce texte. Nichiren y répond à une question de Toki et l’on n’imagine pas de raison pour laquelle celui qui avait été le destinataire du Traité sur le Vénéré fondamental que révèle l'examen du cœur et qui avait déjà vu un gohonzon, se demanderait quand un tel objet devrait être représenté. Tous les exemples cités : les quatre rois célestes, Amita, Contemplateur des Sons, le Roi Palmes d’Orient représentent des exemples de la statuaire bouddhique. On peut supposer que si l’on avait un changement de genre, la chose serait également indiquée.

A la simple lecture de ce texte, on comprend l’interrogation que suscitent les divers personnages de cette statuaire traditionnelle. Pourquoi n’a-t-on pas représenté le bouddha du Sutra du lotus entouré des quatre bodhisattva du XV° chapitre ? C’est une question qui est davantage liée à la doctrine qu’au rituel. Elle correspond à la critique que Nichiren adresse aux autres écoles qui, selon lui, ont perdu de vue la prééminence du Lotus sur les autres sutra et ainsi relèguent le principal au rang de l’accessoire. La deuxième partie du texte est tout aussi intéressante et vient jeter un éclairage étonnant au vu de l’histoire du bouddhisme de Nichiren, sur ce que nous venons de voir.



Les ultras.

Il est révélateur de constater que du vivant même de Nichiren, il y avait déjà des ultras de sa doctrine. C’est-à-dire des personnes qui poussaient les raisonnements dans les extrêmes pour aboutir au rejet de ce que l’on prône ou, pour reprendre Hugo, « Être ultra, c’est aller au delà. C’est attaquer le sceptre au nom du trône et la mitre au nom de l’autel... ». En l’occurrence, il évoque ici un groupe de croyants qui, sous prétexte de la supériorité de la doctrine originelle, rejetait purement et simplement la doctrine empruntée du Lotus, négligeant ainsi toute la première moitié de ce sutra. Au nom de la vénération que l’on porte à un texte, on commence par l’amputer de moitié. Quand on considère l’évolution historique des courants issus de Nichiren, cet exemple est très révélateur. Il montre une sorte de recherche de la pureté qui s’égare dans les chemins de l’illogisme et du radicalisme et aboutit toujours à des positions de rejet. Pour ces intégristes de la pureté, il faut toujours couper. Gare à l’objet de leur vénération et gare à ceux qui partagent leurs vues car cette quête forcenée de la pureté ne ménage rien – et généralement, pas même le bon sens.

Nichiren met en garde ces zélateurs de pratiquer le Lotus dans le respect de l’ensemble des principes qu’il a enseignés et non pas de se servir de ceux qu’ils auraient assimilés au détriment des autres. Toutefois pour bien comprendre le jugement très sévère qu’il porte sur ces disciples dont il dit « je ne peux sonder ce qu’ils ont à l’esprit », il convient d’examiner dans le détail ce qu’il leur reproche.

D’un point de vue purement doctrinal, il est certain que la deuxième moitié du Sutra du lotus, la doctrine originelle est plus profonde que la première, la doctrine empruntée (à ce sujet on se reportera aux entrées du Dictionnaire relatives à ces deux termes). Ce que Nichiren reproche à ses disciples extrémistes tient ici non à la doctrine mais à l’attitude. Leur attitude manque de flexibilité. Ils jugent des deux doctrines en termes de supérieur / inférieur et non pas en fonction des aptitudes des hommes. Du coup, ils oublient que le bouddhisme n’a pas été enseigné à des fins purement rhétoriques mais pour soulager la souffrance des hommes. Or, si l’on ne connaît pas les dispositions et les capacités de ses interlocuteurs, toutes sortes d’erreurs peuvent être commises et elles sont généralement difficiles à rattraper.

Il leur reproche également d’avoir perdu le sens de la mesure : «Mais ce n’est pas parce que l’époque est celle de l’adhésion à la doctrine originelle que l’on doive abandonner pour autant la doctrine empruntée. Aucune phrase dans tout le Sutra du lotus ne stipule que ses quatorze premiers chapitres doivent être écartés». Leur extrémisme est fondé sur une compréhension superficielle des textes qui aboutit d’ailleurs à renier une part importante du Lotus. Leur vénération pour ce sutra les pousse à en abandonner la moitié. Ce sont donc bien des « ultras » tels que je les évoquais au début de ce paragraphe.

Nichiren critique également leur manque de contrôle d’eux-mêmes. Ce sont leurs idées qui les guident et non l’inverse. Or ces idées sont faussées par une interprétation extravagante. Dans la pratique du bouddhisme, il faut pouvoir établir une certaine distanciation vis-à-vis de ses propres constructions mentales. Zhiyi recommandait de contempler les idées qui naissent en nous comme on regarde les nuages qui passent. Ainsi agités par ces idées qui les mobilisent, ils lui apparaissent comme des démons malfaisants et incontrôlables.


On ne peut qu’être saisi par l’aspect prémonitoire de sa critique.


Cette lettre se termine par l’évocation du décès du moine Sanmi, autre disciple turbulent. Nichiren indique les pratiques religieuses accomplies pour l’aider à réaliser l’éveil. Dans d’autres textes également il évoque l’instant final avec des images assez proches de celles relatées ici : profusion de bouddha qui littéralement accueillent et s’emparent (mukaetorase, 迎取せ) du croyant.

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