Appréhension bouddhique des divinités | ||
Le bouddhisme a repris en grande partie la mythologie ancienne de l'Inde qui prévalait au temps du Bouddha. Par la suite, la propagation du bouddhisme vers l'Extrême-Orient s'est accompagnée de l'incorporation de divinités ou de caractéristiques divines du monde chinois. Quelques dieux japonais sont également venus rejoindre ensuite leurs homologues continentaux, quitte à acquérir au passage une coloration bouddhique. C'est le cas de Hachiman (八幡), que l'on qualifie même de grand bodhisattva, ou de Amaterasu Omikami (天照太神). Toutefois l'appréhension bouddhique des divinités reste profondément marquée par ses origines indiennes, cadre général conceptuel que nous devons tout d'abord examiner. 1°) Les six voies Dans cette conception, la transmigration s'effectue dans les six voies ou six destinées (gati). C'est le samsara. Parmi ces six destinées, les quatre premières sont jugées mauvaises (悪趣, akushu, equ, durgati) et les deux dernières bénéfiques (善趣, zenshu, shanqu, sugati). Ce sont les destinées humaines et divines. La place faite à la condition humaine dans ce système est extrêmement intéressante et il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet. Remarquons simplement que l'humain est placé dans une condition supérieure aux asura et inférieure aux dieux. Les asura eux-mêmes sont des dieux déchus, relégués aux régions souterraines et qui n'ont de cesse que d'exercer leur ardeur belliqueuse en reconquérant les cieux mais pour cela, ils commencent par se manifester sur terre et à y pulluler. Ils amènent des perturbations dans l'ordre éthico-socio-cosmique qu'est le dharma. La lutte qui s'ensuit entre les deva et les asura forme la trame de grands récits épiques notamment le Mahabharata. L'homme qui ressortit de l'une des deux
destinées favorables (sugati) est néanmoins
pourvu d'encombrants voisins. L'Histoire nous montre qu'il est
fréquemment attiré par les tendances
héroïques et belliqueuses (asura) ou les
aspirations vers le divin. "Qui veut faire l'ange fait la
bête", si les choses se limitaient à cela, comme
dans tout bon catéchisme, ce ne serait pas dramatique. Nous
aurions le choix entre l'angélisme et céder à nos
instincts, au pire cela donne des tartufes. Malheureusement les enjeux
sont plus conséquents et l'amenuisement du dharma par la
propagation des comportements et modèles 'asuriques' aboutit
toujours à des destructions massives. 2°) Les dieux dans le bouddhisme ancien Les
dieux indiens et leur mythologie ont été
incorporés dans les représentations bouddhiques.
Ils sont les habitants des régions célestes encore que
certains dieux inférieurs vivent sur Terre. Les dieux sont
mortels mais leur longévité est immense. Le Bouddha
révèle qu'ils sont soumis également à
la loi du karman, toutefois celle-ci semble moins agissante sur eux que
dans les mondes qui leur sont inférieurs. A ce sujet, dans le
traité Le Principe d'Une
pensée trois mille,
Nichiren cite un texte de l'Abhidharma : "Ces douze
liens causaux ne sont plus entièrement effectifs entre les
existences successives, ni même dans le ciel, ni même dans
le monde du sans-forme" (p 38, Nichiren, Devenir le Bouddha, éditions
Arfuyen 1993). Les dieux se répartissent entre
les vingt-huit cieux des trois mondes
(cf. Correspondance entre les six voies et
les trois mondes). Ces cieux commencent sur le mont Sumeru dont chacune des quatre
faces est gouvernée par l'un des quatre
grands rois du ciel qui sont les protecteurs de la loi bouddhique.
Le deuxième ciel, au sommet de cette montagne est le royaume d'Indra. Il est connu sous le nom de Ciel
des trente-trois ou Trente-Trois Cieux.
Viennent ensuite, toujours dans cette partie céleste du monde
des désirs, des cieux étagés supérieurs
dont les habitants se détachent graduellement des désirs.
C'est successivement le ciel Yama, Tusita,
Nimanarati, Paranirmitavasavartin et enfin le sixième ciel au
sommet duquel trône un Roi-Démon
qui règne sur l'ensemble du monde des désirs. Au-dessus du monde des désirs vient le monde de la forme. Il comprend dix-huit cieux mais on les répartit en quatre étages qui sont liés à l'acquisition de quatre recueillements ou méditations. Le premier d'entre eux est appelé Brahmaloka (monde de Brahma) car il est gouverné par la divinité Brahma, et ses hôtes, libérés de l'emprise des désirs sont appelés brahman. Ce monde comprend trois cieux. Il est le premier niveau au-dessus du monde des désirs et touche aux limite des capacités de représentation qui sont les notres. Du coup sa plus haute divinité est erronément considérée comme créatrice du monde. Conséquence également de cet éloignement dans les statosphères de la représentation, nous avons peu de notions pour évoquer les classes de dieux suivantes. Il s'agit des Dieux à éclats, Abhadeva, les Dieux à bien-être, Subhadeva, et enfin les dieux qui demeurent plongés dans le quatrième recueillement. Au sommet du monde de la forme nous trouvons le Seigneur-Souverain (大自在天, Daijizaiten, Dazizaitian, Mahesvara), souverain du monde matériel dont il a la capacité de création et d'anéantissement. Pour terminer cette cosmographie
sommaire nous avons les quatre cieux du sans-forme. Comme son nom
l'indique, il est impossible à localiser car il n'a plus de
matérialité aucune. Les quatre cieux
éthérés qui le composent sont des sortes
d'états psychiques constants que l'on définit par
négation : infinitude de l'espace, infinitude de la
connaissance, néant et enfin un domaine dépourvu à
la fois de notion et d'absence de notion. L'imprécision
grandissante de cette suite de termes tente d'évoquer dans notre
langage ces états psychiques bien éloignés de
notre condition d'hommes et donc du monde des désirs où
nous vivons. 3°) Les dieux dans le Sutra du lotus Les divinités n'ont pas un rôle spécialement actif dans le Sutra du lotus. Elles font partie de l'assemblée qui forme l'auditoire qui comprend des êtres des dix mondes. Notons toutefois le chapitre XXVI, Formules détentrices, ou deux rois célestes, Grande-Écoute et Gardien du Pays donnent chacun une formule protectrice. Ces divinités ressortissent du premier ciel du monde des désirs mais leur rôle protecteur est important car elle sont proches de notre monde. Puis viennent ensuite ce que l'on peut considérer comme des divinités très inférieures, les dix ogresses, et leur mère. A vrai dire ces personnages ne sont pas à proprement parler des divinités mais des représentants du monde des esprits affamés. Pourtant grâce à l'action de l'enseignement du Bouddha, ils sont finalement révérés comme des sortes de divinités inférieures, actives dans notre monde. Ils sont également porteur de mythes très riches susceptibles d'interprétations et d'adaptations (cf. l'article consacré à la Déesse Mère des Enfants Démons). 4°) Les apports chinois Pour traduire le terme sanscrit deva (dieu, divinité), les Chinois ont utilisé
l'idéogramme tian (天). Ce caractère signifie le ciel.
Son étymologie nous montre ce qui est supérieur à
l'homme (大). La graphie
actuelle est restée très proche de l'antique qui
désignait cela en plaçant un trait (一) au-dessus du
caractère qui représente un homme adulte (大). Le ciel désigne donc ce qui
surplombe les humains et la Terre et qui est d'un ordre supérieur.
Nous retrouvons ce caractère dans plusieurs composés qui
désignent des notions structurantes de
la pensée chinoise ; par exemple : tianming (天命), le mandat céleste dont est
investi le souverain pour gouverner avec vertu, tiandao (天道), la voie du ciel, ou tianzi
(天子), le fils du ciel, c'est à dire
l'empereur lui-même. Le ciel est donc le principe
supérieur et juste, et l'homme doit s'efforcer d'en suivre les
voies (voir l'extrait du Daodejing
cité à la fin de l'entrée consacrée au
taoïsme). Tout homme qui prend conscience de la présence
du ciel éprouve un sentiment
d'élévation et d'apaisement. L'inflence bouddhique n'est
probablement pas étrangère au peuplement du ciel par
toute une hiérarchie de divinités (il y avait
déjà des dragons et des oiseaux). L'imagination chinoise
y a volontiers transféré les hiérarchies et les
manières des moeurs de la cour impériale.
5°) Les dieux dans l'œuvre de Nichiren Dans les écrits de Nichiren il
est fait référence fréquemment aux dieux. Non
seulement les dieux de l'Inde et du bouddhisme primitif, mais encore
certains dieux populaires du Japon qui émanent du shinto
notamment Hachiman (八幡) ou Tensho
daïjin (天照太神). Dans un texte célèbre, Les Actes, Shuju ofurumai
gosho, 種種御振舞御書, écrit en 1275, il relate comment il a
pris publiquement à parti la divinité Hachiman lorsque
conduit pour être décapité à Tatsunokuchi,
il l'a adjurée de tenir son serment de protection du pratiquant
du Sutra du lotus (cf. Nichiren - biographie). Au moment
de l'exécution, un objet d'une luminosité intense jaillit
dans le ciel nocturne, le bourreau aveuglé s'effondre et
prudemment les exécutants sursoient à leur besogne. Le
lendemain soir, Nichiren qui a été assigné
à résidence dans la demeure d'un officiel et est
gardé par quelques hommes d'armes un peu désœuvrés, s'adresse à la
divinité de la lune (Showa teihon p 969) pour la sommer de
se manifester pour accomplir le serment du Sutra du lotus. De nouveaux des
phénomènes lumineux et atmosphériques stupéfiants se produisent devant
l'assistance effrayée. De ces différents exemples, il
apparaît que ces exhortations des dieux correspondent à un
rappel de leur serment de protéger le pratiquant du Lotus. Dans le bouddhisme,
contrairement aux autres religions, les dieux ne représentent
pas le niveau suprême de l'existence. Ils doivent leur salut au
Bouddha et à son enseignement. Ils doivent donc mettre les
pouvoirs qui sont les leurs pour protéger la loi bouddhique. Les
pouvoirs qu'ils peuvent ainsi mettre en œuvre ne sont pas du même ordre
que les pouvoirs humains. Ils représentent l'action de forces
bien plus puissantes que celles des hommes. Il est
intéressant de noter qu'à la lecture du texte de Nichiren
cité ci-dessus, on a l'impression qu'il est néanmoins
nécessaire de rappeler à ces divinités leur
serment de protection et que le miracle ne se produit pas
spontanément. Notons enfin que dans cette conception des
divinités comme étant des forces spécifiques dont
l'action est à un niveau bien au dela des menées
humaines, nous restons pour partie dans l'étymologie du terme tian (天) telle que décrite en 4°) ;
et que d'une certaine manière, l'intervention céleste
pour s'opposer aux forces 'asuriques' qui finissent par
prévaloir et amener le désordre sur Terre peut être
mis en relation avec la tradition indienne telle
qu'évoquée en 1°). 6°) Traitement et place des
mythes Le bouddhisme a repris et a transformé les mythes de l'Inde consacrés aux divinités. Au fil de son histoire et de l'apport spécifique des cultures d'Asie centrale puis d'Extrême-Orient, cette mythologie et les représentations qui lui sont liées ont été enrichies. Certains mythes sont tombés en désuétude d'autres ont gagné en valeur symbolique. Ils représentent aujourd'hui un imaginaire puissant et fécond qui permet d'interpréter notre monde de façon originale et profonde. Actuellement certains courants bouddhisants interprètent cette mythologie comme n'étant que représentations de populations primitives et inquiètes des phénomènes naturels tels le tonnerre ou les tempêtes, d'autres voient dans ces divinités une tendance evhémériste d'hommage à certains héros des périodes préhistoriques. Nous espérons avoir pu montrer le caractère réductionniste de telles interprétations. A l'inverse, la richesse de représentations de l'imaginaire bouddhique mérite d'être exploitée. Elle fournit des interprétations très éclairantes sur notre monde. Rappelons enfin que plusieurs penseurs importants du vingtième siècle ont fondé leur réflexion sur une découverte et une relecture des mythes anciens de l'humanité.
Aperçu de cette symbolique :
quelques articles ou illustrations du Dictionnaire Miaofa, notamment
ceux consacrés au Roi de Lumières Amour, à l'Immuable, aux quatre grands rois
célestes ou à la Déesse
Mère des Enfants Démons.
En supplément : Audition du cours consacré à ce thème le 26/11/05.
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